A dire vrai, Vito n’était pas rassuré non plus. Son regard se glissait bien trop longtemps vers la porte. Sous elle, pour surveiller l’espace entre le sol et le battant, si une ombre ne s’y dessinait pas. Le casque isolant avait été troqué contre une paire d’écouteurs dont un des deux était vissé dans l’oreille droite, parce que et s’il l’entendait de nouveau, ce craquement ? Non, Vito n’était pas rassuré après tout ce qu’il s’était passé. C’était difficile de fermer l’oeil la nuit, de s’endormir alors que la forêt était si près, de garder le sommeil alors que des images se reformaient souvent. Silhouette, main trop pâle au sol, ombre distincte derrière un tissu tendu. Vito avait toujours été bien plus familier avec la notion de cauchemars que celle de rêve, et ce n’était pas prêt ce changer.
Il y avait de l’amélioration avec le temps, cependant. Et puis il y avait le stilnox. Toujours utile pour quatre heures de répit. (Encore fallait-il avoir envie de rester inconscient alors que ça rodait peut-être encore dehors.)
J’arrive dans 10 min, avait-il envoyé à Theodosia parce qu’elle ne dormait pas non plus, parce qu’elle lui avait demandé de venir, probablement pour les mêmes raisons qui maintenaient ses paupières résolument ouvertes.
Dylan n’était pas là, probablement au boulot. (Il pianota un instant sur son portable pour lui dire qu’il ne serait sûrement pas là quand il rentrerait, et pour lui dire d’être prudent en rentrant.) Il ne savait pas si Méli dormait, alors il laissa un mot aimanté au frigo. Un sac en papier qui contenait ce qu’il comptait emmener chez son amie sous le bras, il sauta dans une veille paire de basket, sa veste, enroula une écharpe autour de son cou et rejoignit son fidèle vélo.
Derrière les réverbères, la nuit était décidément plus noire. Depuis une semaine, elle avait gagné en profondeur, en noirceur, comme un double-sens macabre.
Vito gagna le plus vite possible l’immeuble de son amie. Il était un peu essoufflé en arrivant, pourtant elle n’habitait pas si loin. Cela ne l’empêcha pas de se presser pour attacher son vélo à la rambarde habituelle et de monter les marches deux à deux. Arrivé à la porte il frappa trois fois avant de s’essayer à appuyer sur la poignée. Il constata avec un sourire que c’était ouvert.
« Theodosia, c’est moi, » annonça-t-il simplement (et pas trop fort doucement, il ne savait pas si Lydia était là et dormait) en verrouillant le battant derrière-lui.
La cherchant du regard, il fit quelques pas dans l’appartement, décrochant sa veste rembourrée de ses bras.
Theodosia s’était traînée jusqu’à la porte, emmitouflée dans une grosse couverture, où elle se sentait au chaud et en sécurité. Que demandez de plus ? Peut-être l’assurance que ces derniers jours n’avaient été qu’un cauchemar. C’était l’impression qu’elle en avait, du moins ; Et la Silhouette de la grotte n’en était pas l’unique cause. Les catastrophes s’étaient enchaînés pour elle.
— Minuit, viens par ici.
Mais comme tout chat digne de ce nom, Minuit se contenta de regarder sa maîtresse avec des yeux presque hautains, avant de descendre de la table où il était perché pour se rendre dans une autre pièce de l’appartement. Ce dernier était d’ailleurs lumineux puisque la jeune fille avait pris grand soin d’allumer toutes les lumières (sauf celles de la chambre de Lydia, par respect). Même les toilettes, dont la porte était pourtant close, brillait sous ses ampoules.
Theodosia se sentait comme une petite fille qui s’était prétendue courageuse, en regardant un film d’horreur avec ses parents, tout cela pour se retrouver à dormir avec eux une fois la nuit tombée. Mais en l’occurrence, si on poussait l’analogie, les parents en question n’était que son meilleur ami Vito, aussi terrifié qu’elle, dont elle attendait la venue.
Puis la porte s’ouvrit, et elle se releva du mur contre lequel elle était assise depuis quelques moments déjà. Elle faillit d’ailleurs trébucher sur sa couverture.
— Hey. lança-t-elle à l’attention de son ami avec le plus d’enthousiasme possible. Ça ne marcha pas vraiment.
À vrai dire, elle ne savait pas comment gérer toute cette conversation : Il était 00h13 passée, et elle venait d’inviter un ami chez elle. Ça aurait presque pu être romantique, si seulement elle ne l’avait pas fait à cause des insomnies que cette vision du cadavre provoquait chez elle.
Alors elle décida d’y aller avec sincérité, et surtout, beaucoup, beaucoup d’autodérision.
— Bienvenue à la maison des traumatisés insomniaques. Un sourire. Tu veux une grosse couverture aussi ? Je t’en ai préparé une. Par contre, Minuit a dormi dessus, donc il risque d’y avoir quelques poils.
Dans son cocon de couvertures, elle a avait l’air de s’être forgée une armure de chaleur, celles que se font les enfants pour échapper au croquemitaine. Il y avait un trémolo dans sa voix, une fatigue dans son teint, de l’ombre sous ses yeux dont le vert semblait un peu moins éclatant que d’habitude. Il était minuit passé, c’était à priori normal à cette heure. Mais cette fois-ci, il y avait des circonstances. De toute façon Vito ne croyait pas vraiment au hasard de manière générale.
« Hey, » répondit-il doucement en écho avec un sourire un peu déteint. Il s’autorisait à être sincère. Il avait parlé de ce qu’il s’était passé - à la police, à sa manager - avec un certain détachement. Il avait tout raconté à ses parents, à Méli et Dylan, mais ils n’étaient pas Theodosia avec qui il avait tout vécu. Il était obligé d’être sincère avec elle, jusque dans ses expressions. C’était même. Facile. On ne peut pas mentir à un partenaire de galère.
Il se laissa aller à un petit rire (de bon cœur, aux insomniaques traumatisés ) qui finit un peu jaune (lorsqu’il remarqua toutes les lumières allumées). En même temps, il retira ses chaussures.
Il termina en se tournant en direction du fameux chat qui avait passé la tête par une porte pour voir, probablement, qui avait bien pu arriver à cette heure. Il connaissait à bien le connaître, Minuit. L’animal ne le regarda pas plus de cinq secondes d’un regard fixe avant de disparaître à nouveau.
« Je l’aime et il m’aime. »
Il retourna ensuite son attention vers Theodosia. Pendant un instant, il se demanda ce qu’il se serait passé s’il était tombé sur la Silhouette sur le chemin. Si c’était une bonne si, lorsqu’il regardait son amie, les événements lui revenaient de manière plus claire, terrifiante - si c’était la contrepartie de la sincérité.
« J’ai apporté ça. »
Il piocha l’une des deux choses que contenait le sac qu’il avait apporté : un autre petit sac en plastique transparent cette fois-ci, sans étiquette. Dedans, un vrac de plantes séchées à infuser.
« Ca aide à dormir, il paraît. J’ai jamais essayé. »
Non, lui il avait un autre moyen que la lavande et de tilleul. Impliquant là encore des plantes, mais c’était totalement inapproprié. Ses pas le menèrent à la cuisine. Il était souvent venu ici, comme elle était souvent venue chez lui, et souvent les jeux vidéo étaient de la partie. Ou bien des discussions sur le paranormal. Des préparations d’expéditions comme celle de la dernière fois. Il y avait là une différence que Vito avait du mal à discerner. Il jugea que ce n’était pas grave alors qu’il enclenchait la bouilloire pleine d’eau. Il avait arrêté de demander pour ce genre de choses. Il décida aussi que le deuxième élément du sac serait pour plus tard. Il ne savait pas où étaient les tasses.
« T’as l’air cad… crevée. » Il s’était retourné vers son amie, dos au comptoir. (Il avait failli dire cadavérique. Il soupira. Choix de mots, Vito.) « Tu as quand même réussi à dormir un peu, dis-moi ? »
Il aurait pu croiser la Silhouette en venant, oui. C’était une possibilité. C’était une possibilité qu’elle vienne jusqu’ici. C’était une possibilité que Theodosia ne ferme pas l’oeil de la nuit en pensant à cela. C’était une possibilité que Vito ne ferme pas l’oeil de la nuit en pensant à cela. C’était une possibilité que la Silhouette vienne ici alors qu’elle était seule. Une possibilité qu’elle vienne jusque chez Vito lorsqu’il y était seul ou vienne alors qu’il n’y était pas, mais que Dylan si, Méli aussi. Une possibilité que Theodosia reste seule dans la peur de toutes ces possibilités macabres ne se révèle vraie. Une vérité qu’elle lui ait envoyé un sms, une autre vérité qu’il soit venu au milieu de la nuit parce qu’elle avait peur, il avait peur, mais maintenant ça serait supportable.
Spoiler:
HJ/ je me suis permis de dire que Thea avait pas bonne mine + j’ai permis à Vito d’enclencher la bouilloire j’espère que ça pose pas de soucis Et je suis dsl si c kk mais moi aussi je suis un insomnie kill me
junne.
Invité
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Lun 24 Oct 2016 - 0:25
Better fall now
while falling's good
Bizarrement, voir Vito avec aussi peu d’énergie qu’elle lui réchauffa le cœur. Ce qu’elle détesterait de voir le garçon en pleine forme, alors qu’elle restait faible, qu’elle restait si loin derrière, si elle-même. Puis elle se maudit de son égoïsme pitoyable, de sa jalousie malsaine, et une expression de profond désarroi prit place sur son visage quand elle fut face à ses défauts, et à sa peur qui la poussait à souhaiter la chute des autres, identique à la sienne. Elle tombait sans cesse, Theodosia, elle passait sa vie à haïr ceux qui restait bien à l’aise, à marcher tranquillement au bord du gouffre qu’était l'existence.
Elle apprendrait plus tard Que deux chance au jeu qu'était la vie Ne lui avait pas suffi à en supporter le poids
L’indifférence de Minuit la détourna d’elle-même. Elle sourit doucement quand il ignora Vito de la même façon qu’il l’avait ignoré elle, et finit par dire :
— Il a cligné des yeux longtemps en te regardant... J’ai lu que c’était un signe d’amour.
Elle acquiesça avec assurance, ne doutant pas que Minuit les aimait tous les deux, mais que sa façon de le démontrer était très (très) subtile. Un regard félin par-là, un miaulement au son particulier, et ils pouvaient bâtir un empire sur cette amour hypothétique.
— J’ai apporté ça. Ça aide à dormir, il paraît. J’ai jamais essayé.
Theodosia releva les yeux pour découvrir un sachet rempli de plantes. Puisque Vito ne lui demanda pas un briquet, la jeune fille conclut qu’ils restaient dans une légalité bienvenue, surtout après qu’un policier leur ait sauvé la vie. Elle était décidée à montrer sa gratitude en respectant la loi. C’était triste à dire mais… Plus de téléchargement illégaux pendant quelques temps pour elle.
— Tester des plantes à l’allure suspicieuse avec toi est toujours un plaisir.
Et de nouveau, elle força un sourire fatigué qui souligna les cernes de son visage. De toute évidence, la sarcasme, un art d'habitude peu employé par sa personne, était son moyen pour surmonter cette histoire.
D’un mouvement las, elle se traîna au côté de Vito, et ouvrit l’armoire en haut à droite de sa cuisine pour en sortir deux tasses. Comme l’opportuniste qu’il était, Minuit apparut tel un fantôme, pensant qu’on remplirait bientôt la tasse de croquette en son honneur.
— Oh, toi, pas cette fois.
Et Theodosia résista à toute forme de persuasion, ignorant les ronronnements de son chat, et les frottements contre ses jambes qui manquèrent de la faire tomber. Quand le félin maléfique comprit l'inutilité de ses pots-de-vin animales, il testa sa tactique sur Vito.
— À un moment… Minuit s’est allongé sur mon visage. Je crois que le manque d’air m’a fait perdre connaissance pendant quelques secondes… On peut dire que j’ai ‘dormi’… Je suppose ?
Chose impensable : Elle s’était aussi mise à somnoler devant Secrets d’Histoire, ce qui ne lui était jamais arrivé en 23 longues années d’existence. Toute cette aventure dans la grotte l’avait décidément secoué.
— Et toi alors ? Tu as l’air de t’en sortir mieux que moi.
Les cernes de Vito ne semblaient pas s’être accumulées sur plusieurs jours, comme elle. S’appuyant à son tour sur le comptoir, Theodosia posa les yeux sur la table de la cuisine, et remarqua qu’un pamphlet (ou du moins ce qu’il en restait, il était déchiré en deux) traînait encore sur sa surface Avec un soupir, elle le jeta à la poubelle : Elle n’en aurait plus besoin, tout comme elle n’aurait plus besoin d’espérer entrer à l’école de photographie prestigieuse sur lequel il portait.
La raison. C’était ça la différence, l’élément initiateur. Jeux vidéo, exploration, éventuels films. Des loisirs. Jusqu’ici, ils ne s’étaient jamais rencontrés pour des raisons profondément personnelles. Des choses pas toujours très amusantes.
Theodosia était sortie de son champ de vision et le regard de Vito s’était mis à se promener dans la cuisine. De la table où traînait un papier déchiré (étrange), il passa au sol. Il suivit pendant un instant les angles géométriques qui joignaient chaque carreau.
« Ça n’compte pas vraiment, non, » dit-il avec un sourire dans la voix. Le problème n’était pas drôle, l’image de Theodosia avec un chat sur la tête, si. (Tout comme cette fameuse (feu) photo de lui et de son ami le crapaud.)
S’il y avait un sentiment qui avait toujours primé chez Vito, qui surpassait tout le reste et de loin - c’était l’inquiétude pour son entourage. La volonté qu’ils aillent bien. C’était sa base, sans laquelle il ne serait plus Victor. Ses parents, ses sœurs, ses amis. Tout ce petit monde qu’il ne se cachait pas d’aimer. (Mais c’était un cercle restreint. Les autres, ils pouvaient bien se débrouiller.)
Il se laissa glisser contre le placard bas qui maintenait le comptoir pour se retrouver accroupi, adossé à la petite porte en bois. De cette manière, il avait plus de facilité à atteindre Minuit qui se montrait soudainement plus affectueux envers lui maintenant qu’ils se trouvaient dans la cuisine (et que sa maîtresse lui avait refusé quelques croquettes). Un ronronnement digne d’un moteur miniature l’accueillit alors qu’il grattait légèrement le bout de son menton.
Et ainsi, il ne voyait plus Theodosia. Ça lui permettait d’arrêter de se focaliser sur ses cernes. Et le miel d’ironie dont elle enrobait ses mots.
« J’ai l’habitude, j’ai jamais été un gros dormeur. Et puis, » il amena sa main sous ses yeux et frotta légèrement. Inspecta le bout de ses phalanges. « Il doit me rester un peu d’anticerne. J’en ai mis pour le boulot. » Il avait assez l’air d’un zombie comme ça, ce n’était pas la peine de faire faire peur aux gens non plus.
Vito et le sommeil. Une guerre sans merci.
« Si tu avais envoyé le sms à 3h ça aurait probablement été pareil. »
Il était en train de caresser le dos d’un Minuit impatient lorsque Theodosia s’avança vers la table pour attraper le fameux papier déchiré et le jeter dans un soupir. Vito avait peut-être beaucoup joué aux jeux-vidéo. Ou regardé trop de films. Mais il avait eu cette impression, en voyant ce prospectus en deux morceaux sur la table, que c’était quelque chose d’important. Non, ou alors, pas obligatoire, mais pas anodin non plus. Si ça se trouve, ce n’était rien. Ses sourcils se froncèrent et de là où il était, il releva les yeux vers elle, une interrogation sur le visage. Dans sa poche, à côté du charme qu’il avait décidé de garder avec lui, il sentit son téléphone vibrer - probablement Dylan - mais il l’ignora pour l’instant. Il se permit, curieux, de poser la question.
« C’était quoi ? »
Derrière lui, la bouilloire qui avait commencé à émettre un faible sifflement, se désactiva dans un clic, signe que l’eau était chaude. Il était temps de voir si le fameux mélange fonctionnerait.
— Alors, espérons que l’infusion fonctionne, dit Theodosia en s’essuyant les yeux de fatigue.
Peut-être était-ce la présence de Vito qui l’orientait vers un sommeil bienvenu : Elle se sentait infiniment plus en sécurité avec lui que seule. Elle adorait Minuit, mais elle doutait fortement de son utilité face à la Silhouette : Il ne comptait donc pas réellement comme un effectif de plus face à l’horreur qui traînait encore à l’extérieur.
En espérant qu’elle y reste.
Regardant Vito du coin de l’œil, Theodosia espéra que le mélange de plantes marche pour lui aussi, maintenant qu’elle savait pour l’anticerne : Ainsi, il n’était pas moins fatigué qu’elle, il le cachait seulement mieux. Peut-être devrait-elle en mettre, elle aussi, afin de ne pas faire fuir les clients du Flower’s Seed. Il lui apparut d’ailleurs qu’elle devrait peut-être y travailler à plein temps, dorénavant.
— Si tu avais envoyé le sms à 3h ça aurait probablement été pareil. — Héhé. Ne me donnes pas d’idées.
Un nouveau sourire, moins forcé que le précèdent. La nuit était devenue une source d’ennui (et de terreur) pour elle, alors il lui fallait bien trouver un moyen de se distraire. Peut-être se mettrait-elle à la peinture… Ou aux mathématiques, puisque l’art ne lui réussissait de toute évidence pas.
— C’était quoi ?
La question la tira de ses pensées, et elle fixa Vito avec des yeux surpris. Elle ne s’attendait pas à ce que l’histoire d’un morceau de papier déchiré l’intéresse, mais elle connaissait l’étendue de sa curiosité. Ça n’aurait pas dû la surprendre. Elle finit par détourner le regard, gênée, se demandant si l’histoire valait la peine d’être racontée. Elle n’était pas sûre d’en avoir l’envie ni le moral.
Mais en même temps… Elle avait quand même manqué de mourir avec Vito. Si elle n’en parlait pas à lui, alors à qui ? Ses parents se moqueraient probablement d’elle. Ils lui diraient « tu vois, tu as échoué. Reviens vivre avec nous, maintenant. » et c’était hors de question. Gigi, alors ? Pour la première fois de sa vie, Theodosia sentit que des mots sur un écran ne suffiraient pas à lui remonter le moral. Et dieu savait que ces mots l’avaient aidé, auparavant.
— C’est…
Un silence que coupa le sifflement de la cafetière. Mais elle reprit.
— Tu te souviens de l’école dont je t’avais parlé ? Celle de photographie ?
Theodosia saisit une mèche de ses cheveux, qu’elle tressa dans un geste nerveux.
— J’ai… J’ai été recalée.
J’ai échoué. Sa voix se brisa doucement, et elle entra dans un silence déçu. L’annoncer à voix haute rendait la chose plus réelle, et elle se rendit compte de sa situation : Le but pour lequel elle avait travaillé toute sa vie, son rêve, finalement hors de portée malgré ses efforts. À quoi s’attendait-elle ?
— Je ne sais plus vraiment quoi faire, maintenant.
Regard appuyé, menton relevé, pas dédaigneux. Minuit avait fini par comprendre que Vito n’était pas près de remplir sa gamelle et qu’il n’utilisait sa gourmandise que pour passer ses doigts dans son pelage. Il le regarda partir avec un sourire qui se manifestait dans le coin de ses yeux. Il aimait bien ce chat. Puis il se tourna vers sa propriétaire.
« C’est… »
Vito se redressa avant de se tourner vers la bouilloire. Il ne quitta pas son amie du regard, incertain de la réponse. Il n’avait pas pensé grand chose de ce pamphlet, au départ. Il n’avait même pas vu ce que c’était.
« Tu te souviens de l’école dont je t’avais parlé ? Celle de photographie ? » « Oui… ? »
L’inquiétude était revenue. Il n’aimait pas vraiment l’association école tant convoitée et prospectus déchiré. L’atmosphère était soudainement semblable au moment où, dans la grotte, elle avait constaté le décès de son polaroïd. Vito c’était senti désolé, et c’était une expression un peu similaire qu’il lui trouvait sur le visage.
« J’ai… J’ai été recalée. »
Oh, non. La photographie, c’était important pour Theodosia. Comme le dessin l’était pour Vito - peut-être plus, même. Elle lui en avait parlé, un jour, de cette école. Un prestige, des cours, un réseau à portée de mains. Mais aussi, une grande sélectivité. Elle avait une mine déçue, et Vito sentit son cœur se pincer de compassion. Il arrêta ses mouvements, conservant la poignée de la bouilloire dans la main.
« Je suis désolé… » Un nouveau silence où il baissa les yeux un instant. Il le releva quelques secondes plus tard. « Mais je suis sûr que tu peux retenter, non ? C’est pas évident de rentrer dans ce genre d’école comme ça, du premier coup. »
C’est sa dernière phrase qui le fit froncer les sourcils. Il lâcha ce qu’il avait dans la main pour faire un pas vers elle.
« Qu’est-ce que tu veux dire ? »
Que c’était son unique cap ? Le but absolu qu’elle poursuivait ? Ça sonnait comme une phrase de fin. Je ne sais plus vraiment quoi faire, maintenant, c’était beaucoup trop fataliste. Non, c’était trop dommage. (Parfois, ce genre de chose pouvait arriver. On pouvait échouer, et rester égaré pendant un moment sans savoir vers quoi se tourner. Ou alors, on pouvait choisir de persévérer.)
« J’imagine que… c’est frais et que tu es déçue ? Je suis déçu aussi - pas de toi, mais parce que tu aurais été bien là bas. Ça te va bien la photo, et je sais pas si j’ai ce qu’il faut pour dire ça mais t’es douée. Tu aime ça, non ? Faut pas que t’arrête là. Sois pas déçue de toi-même, ok ? »
Pendant un court instant, Vito se demanda si lui aussi avait un but. Quelque chose à atteindre. Ce n’était pas le sujet. S'il essayait de lui remonter le moral avec ses mots bancals, il pensait aussi ce qu'il disait. Vito n'était pas très bon pour mentir de toute façon. Ne savant pas trop quoi faire de ses mains, il retourna à la bouilloire et gagna la table pour mettre deux infuseurs remplis dans les tasses et y verser l’eau brûlante.
« Tu pourrais retenter l’année prochaine. » Puis il se retourna avant de demander avec hésitation, « est-ce que ça a à voir avec la noyade de ton polaroïd ? »
Elle considéra Vito avec des yeux tristes, mais emprunts de gratitude pour ce qu’il essayait de faire. Avec un soupir, elle reprit sa place contre le comptoir, fixant le carrelage de la cuisine pour mieux ignorer le regard du garçon, qu’elle n’osait plus croiser.
— La directrice m’a fait comprendre que…
Mais la suite ne vint jamais, même si son évidence se perdit dans le silence qui flottait dans l’air. Ce n’était pas un silence gênant, ou lourd, seulement fatigué et las, comme ils l’étaient.
— Quel intérêt de poursuivre une voie pour laquelle je n’ai aucun talent ?
Le talent. La bête noire de toute artiste. Le travail acharné pouvait le compenser, mais Theodosia n’en était plus si sûre, dorénavant. Peut-être était-ce sa déception qui parlait pour elle. Peut-être les choses iraient-elles mieux dans quelques jours, quand elle aurait surmonté sa déception. Mais elle se demanda si elle arriverait seulement à la surmonter.
— Cet entretien, c’était un test pour savoir si j’avais une chance dans le monde de la photographie, tu sais. On m’a toujours demandé de choisir un milieu plus… Disons, sûr, pour plus tard. Mais je voulais essayer. Je ne voulais pas le regretter toute ma vie, et devenir banquière ou comptable en rêvant de ce qui aurait pu être…
Mais maintenant, elle savait que rien n’aurait pu être.
— Ça pourrait être pire. Je veux dire, mon job de serveuse paie bien.
Elle n’était pas obligée de retourner chez ses parents avec la mine défaite. Elle pouvait rester à Foxglove Valley encore quelques temps, histoire de réfléchir à quoi faire, maintenant qu’elle savait. Oh, elle n’était vraiment pas impatiente de leur annoncer la nouvelle, après la dispute qu’ils avaient eue.
— Et je pourrais être endettée à vie.
Dieu merci, elle avait attendu la réponse avant de lancer un prêt étudiant pour pouvoir payer sa scolarité au coût alarmant.
— Je ne pense pas que le polaroid y soit pour quelque chose. J’avais déjà préparé un book avant notre exploration, après tout. Même si je suis sûre qu’une certaine photo prise ce jour-là aurait pu m’ouvrir facilement les portes de l’école...
Quel dommage que la photo du crapaud ait été perdue dans les eaux. Elle lui remonterait certainement le moral, et peut être arrêterait-elle de cacher ses espoirs en morceaux derrière un humour fragile et tremblant.
— ... Toute cette histoire me fatigue. Ce qui bon signe, puisqu'on essaie de résoudre un problème d'insomnie. L'infusion est prête ?
Trouver quoi dire. Avoir les mots. C’était une habileté que boudait Vito. Cela n’était jamais assez souligné. Une fois de plus, son regard retourna carrelage, les épaules abaissées par les mots de son amie. Il avait pensé ce qu’il avait dit. Néanmoins, être sincère, essayer de poser des mots sur ses pensées, c’était tout ce qu’il pouvait faire. Parler. Ce n’était probablement pas une bonne idée. Il était bien meilleur pour écouter de toute façon. Alors c’est ce qu’il fit.
Quand elle évoqua son job actuel, il ne put s’empêcher de lâcher un soupir discret. On ne pouvait pas être serveuse toute une vie. C’était un métier honorable, mais Theodosia méritait mieux que ça sur la durée. (Et lui, serait-il caissier toute sa vie ?)
Il replaça machinalement une chaise qui n’était pas droite, la soulevant pour qu’elle ne racle pas sur le sol. Il était proche d’une heure, probablement. A cette heure-ci, le moindre bruit était comme amplifié. Après ce geste inutile qui n’avait servi qu’à reprendre contenance, il se tourna et qu’il n’ait besoin de traversa la petite cuisine, sa main se posa sur l’épaule de Theodosia, à qui il adressa un petit sourire, encore.
« Abandonne pas. Donne-toi une petite semaine pour y repenser, ou plus. Et au pire, je suis sûr qu’il y a d’autres moyens. »
L’art, c’était une institution de nos jours. Mais il y avait toujours une opportunité, quelque part, pour percer autrement qu’en passant par les grands réseaux. Du moins, il l’espérait.
A l’évocation de la photo, il échappa un bref et petit rire. Puis elle demanda si l’infusion était prête. La discussion était close pour l’instant.
Les tasses étaient brûlantes jusqu’à l’anse. Pour Vito, c’était surprenant. Il avait rarement froid - il était rarement froid. Il était une bouillotte ambulante, paraissait-il. Cependant, la fatigue, le malaise, la peine - toutes ces choses là avaient tendance à glacer ses mains jusqu’aux os. Il grimaça en prenant les deux tasses.
« Je crois que c’est bon. Et si l’offre marche toujours, je veux bien la couverture de Minuit. »
La migration vers le salon se fit facilement. Ce n’était pas la première fois qu’ils s’y installaient - mais celle fois, l’écran était éteint et ils n’avaient pas eu besoin de tirer les rideaux ou fermer les volets pour avoir de l’obscurité. Vito avait presque sa place attitrée dans le canapé. Il était quasiment sûr qu’il pourrait y trouver quelques-uns de ses cheveux s’il cherchait un peu. Il s’empressa de poser les tasses sur la table basse et secoua ses doigts. Ca commençait à le brûler sévèrement.
S’il attrapa la couverture, il la garda un instant dans les mains sans s’asseoir, tourné vers la fenêtre. A extérieure, on ne voyait rien. Dans la vitre, il n’y avait que le reflet de la pièce, de leurs deux silhouette qui se reflétait. Ils étaient deux. Il y eut un silence.
« Dosia. » Trouver quoi dire. Avoir les mots. « Est-ce qu’on en parle ? De ce… de ça. » De ce qu’il y avait là bas, de ce pourquoi il était là. « J’arrive pas à me le sortir de la tête et j’ai l’impression qu’à n’importe quel moment je vais l’entendre arriver. »
Peu décidé à s’asseoir, il se tourna néanmoins vers Theodosia sans vraiment lever les yeux, incapable de regarder la fenêtre plus longtemps. Le couverture se froissait entre ses doigts.
« Je suis désolé, c’est soudain, mais. » De ses dents, il tortura sa lèvre un instant. Avoir les mots. Pourtant ils sortaient tous seuls, sans qu’il ne s’y soit vraiment attendu. « Il se passe des trucs ici. Toutes ces histoires de myosotis, ou je sais pas quoi. Et maintenant, ça. J’ai l’impression de… de je sais pas. C’est confus. »
Cette fois, dans un nouveau soupir, il se laissa tomber sur le canapé. Il se frotta les yeux tout en continuant, « et cette personne qu’on a trouvé. J’arrête pas d’y penser. »
Si anti-cernes il restait, il devait maintenant être complètement effacé.
Theodosia ne commenta pas le dernier encouragement de Vito, mais lui répondit par un sourire plein de gratitude et de compassion. Elle l’écouterait : Avant de faire quoi que ce soit d’irréparable, elle attendrait. la jeune fille pouvait se montrer irresponsable et immature, mais il lui restait assez de clarté pour avouer qu’elle était trop secouée parce les événements récents pour prendre une décision sage.
Une semaine, ou peut-être deux. Avec l’espoir que la solution se présenterait d’elle-même.
Elle acquiesça alors, et suivit Vito dans le salon, un peu inquiétée par la chaleur des tasses sur sa main. Puis elle se rassura quand il les déposa à la hâte, et s’assit sur le canapé : Minuit se décida à réapparaître et escalada vite le fauteuil pour s’étendre sur les genoux de sa maîtresse. Avec un sourire, elle commença à caresser ses oreilles mais son sourire disparût quand elle releva les yeux, et vit Victor regarder la fenêtre.
Ils étaient comme coupés du monde, cachés sous un voile d’obscurité : D’où elle se tenait, Theodosia ne savait pas distinguer les étoiles, seulement leurs propres reflets, vacillants et transparents. Elle retint un soupir et utilisa ce qu’il lui restait d’optimiste pour se rassurer. Il n’y avait aucun visage à cette fenêtre, seulement eux. Inutile d’imaginer des horreurs où il n’y en avait pas. De toute façon, son téléphone était tout près, il lui suffirait de deux pas pour y bondir en cas de danger.
Mais est-ce que le danger lui en laisserait le temps ?
Il valait mieux ne pas y penser.
— Moi aussi. Je me demande si… Si elle avait de la famille ?
Ou peut-être était-elle loin de chez elle, comme elle l’était, perdue dans l’inconnu du monde et l’anonymat. Elle arrêta le flot incessant qu’était ses pensées pour se concentrer sur cette éventualité :
Celle de disparaître Sans laisser de trace Dans l’ignorance et le silence
Une stupidité. Ces introspections morbides ne serviraient pas son humeur.
— Le paranormal m’a toujours passionné mais maintenant que j’y suis vraiment confrontée… Je ne sais pas. Je suppose qu’on aimait ça sans vraiment y croire. C’était peut-être élaborer des théories, ou camper, ou s’amuser dans des lieux perdus qu’on aimait vraiment.
Mais mettre sa vie en danger d’une telle façon… Elle n’était plus sûre de vouloir le retenter.
— Tu crois à ces histoires de réincarnations ? Les myosotis...
Elle les pensait légende urbaine, mais le surnaturel lui était plus difficile à nier, après sa confrontation avec la Silhouette.
De la famille… Vito avait regardé Minuit grimper sur les genoux de sa maîtresse pour s’y installer avec familiarité. Pour ce chat, tout allait bien. Distraitement, Vito tendit la main pour gratter sous son menton, là où il avait l’air d’apprécier. Puis il s’attela à déplier un peu plus proprement la couverture que l’animal avait manifestement habité un peu plus tôt et la déposa sur ses épaules. Il ne faisait pas chaud.
« Je sais pas… forcément. De la famille, des amis. »
Il ne savait pas s’il avait envie d’en parler à l’officier Beckett. De demander des nouvelles, des détails. D’essayer d’en avoir, même si c’était probablement confidentiel. Voulait-il vraiment savoir ? Voulait-il vraiment savoir quelle famille avait perdu l’un des siens, quelle famille avait appris la nouvelle ? Voulait-il vraiment connaître le nom, l’âge ? Les conséquences de sa mort ? Non. Non, il ne le voulait pas. Il n’en avait pas besoin. Pas maintenant.
« J’y ai jamais cru non plus. C’était marrant pour ce que c’était. Mais là c’était pas rien. C’était… »
Une silhouette longiligne qui se découpait dans la nuit, qui n’avait fait qu’un seul bruit. Toujours le même. Qui s’était déplacée vite, si vite devant eux. Pour se précipiter, sans hésiter.
« Ça m’énerve, aussi. C’est égoïste ce que je vais dire. Mais j’aimais bien quand on partait en exploration ou qu’on montait un plan, quand tu prenais des photos pour chercher des orbes. Ces trucs là. C’est pour ça que j’y allais. Ça m’énerve que ça finisse comme ça. »
Rire nerveux, puis soupir. Il continua, plus bas.
« Je me sens mal de penser ça parce que quelqu’un est mort »
Nouveau et énième soupir. Vito laissa son dos s’appuyer contre le dossier du canapé et sa tête basculer en arrière. Au plafond, il n’y a avait que quelque ombres. Une lampe. Un aplat de peinture.
« Je sais pas. Comment tu sais que tu es réincarné ? C’est comme si tu étais hanté. Mais t’as quoi, des flashs ? »
Il laissa la gravité tourner sa tête vers Theodosia qu’il ne regardait pourtant pas vraiment, pendant à toutes ces histoires. S’il y avait du paranormal quelque part, alors il y en avait probablement ailleurs. Myosotis, Hellébores. Des noms auxquels il n’avait jamais vraiment prêté attention jusque là. Des concepts abstraits qu’il ne comprenait pas. Qui le faisait douter. Son regard tomba sur les tasses qui trônaient toujours sur la table basse. C’était sa mère qui avait préparé cette tisane, et son visage se ferma. Il n’avait jamais vraiment cru en ce qu’elle faisait elle non plus. A quel point avait-il été ignorant, jusqu’ici ?
Devant la frustration de Vito, Theodosia ne put que sourire tristement. Elle comprenait parfaitement sa colère, qu’elle partageait : Les choses n’étaient pas censées se passer comme ça. Découvrir un cadavre, faire face à un monstre, ce n’était pas les aventures que les gens comme eux, jeunes, banales, devaient vivre. C’était… C’était pour les autres. Comme la personne perdue à jamais dans la caverne.
— Non. Je comprends.
Un silence. La jeune femme regardait maintenant ses mains, aux ongles rongés, résultat du stress de cette dernière semaine. Elle considéra l’existence des réincarnés, s’interrogeant sur leurs vies… S’ils existaient vraiment, souffraient-ils de ce passé double ? Ou était-ce juste un nouvel élément de leur personne, qui s’ajoutait à tant d’autres choses ?
— Des sensations de déjà-vu ? Des… Souvenirs ? Je me demande à quoi ça ressemble.
Et sur ces interrogations qui resteraient sans réponses dans l’instant immédiat, elle s’appliqua à se réchauffer les mains doucement, en les frottant l’une contre l’autre.
— En partant de chez moi, je n’imaginais certainement pas ça. Foxglove Valley et toutes ces bizarreries...
Des bizarreries qui les avait presque tués. Elle se consolait en pensant que rien n’aurait pu prédire un tel développement de sa vie. Je regrette un peu, manquant-elle de lâcher, dans toute sa mélancolie. Mais avant que ses lèvres ne s’écartent, son regard se posa sur Vito, et il lui apparut que sans tous ces malheurs, elle n’aurait pas connu le bonheur de l’avoir rencontré.
Elle finit par retenir sa pensée, qui se changea en quelque de plus lumineux. Plus optimiste. Elle finit par secouer la tête, et se leva de son fauteuil, oubliant la présence innocente de Minuit sur ses genoux, qui se replia aussitôt sur ceux de Vito.
— On n’est pas obligés d’arrêter ! finit-elle par conclure, prise d’un enthousiasme nouveau. On doit juste prendre plus de précautions. Peut-être, moins s’éloigner, la prochaine fois. Et puis, on n’est pas obligés de partir à la chasse aux fantômes pour explorer, on peut faire ça…
Entre amis.
— …Entre amis. Le terme déposa un sourire doux et ravie sur ses lèvres. Ils n’avaient plus besoin d’excuses, maintenant. Plus de mystère, plus de paranormal. Simplement l’assurance qu’ils appréciaient la présence de l’autre.
— Et... Je propose de commencer ici et maintenant.
Arrêtons de nous morfondre. Nous sommes plus forts que cela.
— Avec… Euh… Une tente ? Si on bouge un peu le canapé… ?
Parce qu’ils n’avaient jamais pu camper, finalement.
Cette question, elle ne venait pas exactement de nulle part. Elle passait dans sa tête, parfois, restait un peu avant d’être remplacée par autre chose, mais - mais. Quand il pensait à ces histoires de réincarnations, il avait comme un nœud dans le corps. Ce n’était pas quelque chose de désagréable à proprement parler, mais c’était un peu comme ces moments où il pressentait que quelque chose ne tournait pas rond. Et il le savait bien, Vito, qu’il ne tournait pas toujours rond.
Lui aussi, il se demandait à quoi ça pouvait bien ressembler. Avoir été quelqu’un d’autre avant même de vivre, c’était quand même quelque chose. Quand il y pensait, spontanément, des milliers de scénarios lui venaient à l’esprit. La réincarnation faisait couler beaucoup d’encre depuis des millénaires et le ferait probablement toujours. Tout le monde avait peur de la fin. Il avait vraiment du mal à appréhender cela sans y croire complètement. D’un « mh » un peu absent, il acquiesça. Foxglove Valley et ses bizarreries. On aurait dit le titre d’un livre pour enfants. C’était presque inspirant.
Mouvement sur le fauteuil à ses côtés - Theodosia s’était soudainement levée. Il savait que c’était elle, Vito n’avait pas sursauté. Sa main trouva immédiatement Minuit qui s’était réfugié sur ses jambes. Mais ce n’était pas le chat qu’il regardait, les yeux grands ouverts. C’était son amie, son visage soudainement illuminé. Au moment où elle avait décidé de se lever, il y avait eu comme une transition, un changement dans l’air. A ses paroles, ses lèvres s’entrouvrirent, l’expression soudainement surprise, tant pour les mots que tout le reste. Toute la peine, la colère, la frustration, la lassitude - tout cela, Théodosia l’avait chassé en un claquement de doigts. C’est en esquissant un premier grand sourire que Vito se dit qu’il aurait dû s’en douter. Ce n’était pas n’importe qui qu’il avait en face de lui.
Immédiatement, les mots qu’elle avait prononcé le projetèrent dans le futur. Il s’imaginait en sa compagnie, un peu mieux préparé, armé de diverses machines pour repérer les dangers inhabituels. Ou bien, loin de toute pollution lumineuse, des jumelles pointées vers le ciel nocturne en attente d’un éventuel mouvement suspect. Ou tout simplement dans une salle de cinéma, des lunettes 3D sur le nez et un seau de pop-corns devant un film dont ils parleraient des heures une fois sortis. C’était ce que faisaient les amis. Après tout ça, ils méritaient cette accalmie. Pendant l’espace de quelques secondes, Victor avait troqué ses démons pour une bouffée d’affection.
Quand Theodosia énonça la construction d’un fort, Vito se leva à son tour, dans un regain d’énergie, oubliant à son tour la présence de Minuit qui lui lança un regard mauvais qu’il ne vit même pas. Son sourire était maintenant immense alors qu’il posait ses deux mains sur les épaules de son amie, serrant un peu ses doigts. « T’es la meilleure, tu sais ça ? » Sous-entendu : bien évidemment que j’ai envie de continuer à explorer des endroits avec toi, mais des moins dangereux. Sous-entendu : bien évidemment que le plus important, ce n’est pas l’exploration en soi, mais le fait de passer du temps ensemble. Sous-entendu : bien évidemment, tu as raison, arrêtons de nous morfondre, nous sommes plus forts que cela.
Le canapé s’était retrouvé dans l’autre sens, complètement dénué de tous ses coussins. Ces derniers avaient été placés à la verticale tant bien que mal, rejoints par ceux qui se trouvaient sur le fauteuil. Ce qui faisait le plus effet, c’était la couverture qui avait été placée au dessus. S’il avait été aussi doué pour monté la tente la dernière fois, c’était peut-être parce qu’il avait passé une bonne partie de sa vie à construire des forts de coussins avec ses sœurs. Comme on dit : knowledge is power.
Ça faisait comme une drôle de maison en mousse au milieu du salon.
« Et la touche finale, » avait-dit Vito avec un air un peu triomphant ; la touche finale, c’était le charme qu’il avait gardé jusque là dans sa poche et qu’il avait placé devant l’entrée de leur nouvelle tente. Il était plutôt fier de leur oeuvre. (Et il espérait qu’ils n’avaient pas réveillé Lydia)
« Je crois que maintenant on risque plus rien. »
Peut-être que si. Pour l’instant, ça n’avait plus vraiment d’importance. C’est d’un pas assez léger que Vito était passé par la cuisine pour sortir de son sac la dernière chose qu’il avait amené. Dans un sourire, il tendit à Theodosia une enveloppe, de taille A3.
« Installe-toi, et regarde. Je te les donne. »
junne.
Spoiler:
Je suis désolée pour cette attente de 8168461 ans aaaaaahhhhhhh
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Ven 2 Déc 2016 - 1:07
Better fall now
while falling's good
Tout comme leur tente, leur fort se construit rapidement, quoiqu’un peu maladroitement. Mais c’est le résultat qui importe, et ce dernier est fantastique. Ce qui étonne Theodosia, c’est qu’aucun résident en colère ne vient toquer à leur porte, parce qu’elle ne doute pas qu’avec la construction du fort, s’achève également le sommeil de tous les locataires de l’immeuble.
Et le sien commence enfin à s’exprimer, dans un bâillement qu’elle couvre d’une main fatiguée. Mais en même temps, elle est trop vivante pour seulement considérer fermer les yeux. Après tout le malheur et la douleur, c’était ce dont elle avait besoin. Des « Tu es la meilleure », qu’elle est presque tentée de croire, des sourires, des idées stupides et enfantines qu’elle ne peut pas s’empêcher de suivre car grandir n’est qu’optionnel, et Vito, qui est toujours à ces côtés quand il s’agit de réaliser ces bêtises.
Alors elle suit sa demande sans se poser de questions, et s’installe confortablement dans leur fort, avec un sourire qui ne quitte jamais ses lèvres. Minuit, qui voit en elle une source de chaleur possible, décide de s’installer de nouveau sur ces genoux, avec cet air suffisant qu’il porte si bien.
Vito lui tend un premier dessin, et elle y reconnait leur tente, avec, à son intérieur, leur sac de couchage, où ils n’ont finalement pas eu l’occasion de dormir. Devant elle, un feu de camp et un panneau qui dit « interdiction de faire du feu » qui lui arrache un sourire. À ce moment, elle se décide à lui expliquer pourquoi ils n’ont jamais pu allumer un feu, cette nuit-là.
Puis il lui tend un deuxième dessin, et elle s’y reconnait. C’est elle, devant l’entrée de la grotte, face à son obscurité, encore ignorante du danger qu’il court. Avec un petit rire, elle ne peut s’empêcher de commenter :
— Je ne suis si belle que ça.
Le troisième dessin lui rappelle l’un des plus terribles épisodes de toute cette aventure : Les chauves-souris. Elle se demande encore comment ils ont fait pour survivre à cette armée de paire d’ailles, rendues agressives par leurs présences.
Le quatrième dessin la fait s’émerveiller un instant : C’est le petit coin de paradis qu’ils avaient découvert, malgré toute la terreur et la douleur de leurs membres déchiquetés par leur chute dans la grotte. Elle y reconnut les cristaux, qui formaient des étoiles artificielles sur les parois de pierre.
Cela va sans dire que le dernier dessin contrasta beaucoup avec le précèdent : Tellement que, quand elle y découvrit la reproduction de cette fatidique photo, celle qui comprenait Vito, un crapaud, et un certain visage écrasé sous le poids d’une certaine masse verte gluante, elle éclata de rire.
Son rire mit quelques longues secondes à se calmer, et Theodosia fit de son mieux pour reprendre un minimum de sérieux. Cela se montra être plus difficile que prévu, mais elle y parvint au prix de grands efforts.
— Tu dessines toujours aussi bien, commença-t-elle, avant de se reprendre. Non, tu dessines même mieux.
Elle acquiesça doucement, avant d’ajouter :
— Victor. Theodosia marqua une pause, le temps de réunir ses pensées. Toute sa gratitude. Merci. Je… Je ne sais pas comment te remercier. Et je crois même que je ne saurais jamais assez te remercier pour être... Une personne pareille. Quelqu'un de bien.
Elle ne put s’empêcher de nouer ses cheveux dans un geste nerveux, comme elle avait l’habitude de le faire dès qu’elle se mettait à étaler ses sentiments.
— Ah, mais regardes nous. On devient tout émotionnels, d'un coup. finit-elle par dire, les joues rougies par la joie et la timidité qui venait avec la sincérité des sentiments.