"Le soleil vient de se lever, encore une belle journée et il va bientôt arriver, l'ami ricoré Sunny !"
Une musique retentit dans le lointain. Tu réponds à son appel, ce dernier sonnant comme l’écho d’une nouvelle journée, en ouvrant tes deux grands yeux marrons-orangés. Tu te lèves d’un bond, d’un seul de ton lit et laisse tes pieds danser sur le rythme de l’entraînante musique, que tu te mets à fredonner.
-"Now I gotta cut loose, footloose, kick off the Sunday shoes !"
Tu finis par mettre tes écouteurs, pour ne pas risquer de réveiller ton frère et tu te diriges ensuite, téléphone à la main, vers la cuisine toujours dans une chorégraphie improvisée. Ton corps se balance de chaque côté dans un drôle de ballet consistant à ouvrir les volets, prendre des céréales, attraper une orange, sortir un bol... tout ça avec un groove surprenant. Une fois ton petit déjeuner installé, tu éteins ta musique, retires tes écouteurs et observe le soleil éclatant par la fenêtre, les yeux brillants. Cette journée s’annonçait sous les meilleurs hospices, aucun nuage n’était à déplorer, laissant le champ libre à une toile azurée totalement immaculée.
En parlant de nuage, tu n’avais pas vu ton frère rentrer hier soir. Cela devenait récurent en ce moment et cela t’inquiétait de plus en plus. Il était constamment déprimé et grincheux ces derniers temps, enfin, encore plus qu’à l’accoutumé. Tu ne savais même plus quoi faire, ta présence, ton sourire et ta bonne humeur ne semblait même plus assez efficace pour lui faire décrocher ne serait-ce qu’un léger rictus. Tu ne savais plus du tout comment le prendre, comment lui parler, comment te comporter avec lui. Tes yeux se perdirent à travers la fenêtre, naviguant dans le vide comme tes pensées dans le tumulte de tes problèmes.
-"Tiens, en parlant du loup…", pensas-tu.
Du bruit venait de provenir de la chambre de ton frère. Tu ne savais pas vraiment s’il s’agissait d’un grognement ou d’un grincement mais tu fixais désormais sa porte, impatient de le voir sortir de là, comme un chien attend son maître pour lui donner sa dose de bonne humeur journalière.
now the waves they drag you down carry you to broken ground though i'll find you in the sand wipe you clean with dirty hands — foals // spanish sahara
En proie à de terribles cauchemars, il ne dort plus vraiment ; cherche juste la quiétude d'un instant, la torpeur d'un unique moment ; les cernes noirs prenant place de parts et d'autres de ses yeux rougeoyant. Plus rien ne va plus dans la vie de Kyosuke, tout s'enchaîne à une vitesse à laquelle il n'a pas le temps de songer ; le temps passe tout comme les années, bientôt l'automne, vient la fin de l'été. La pluie bientôt viendrait cogner sur sa fenêtre dans une mélodie enchanteresse qui le bercerait ; mais voilà que les rayons du soleil font leur oeuvre, lui faisant entrouvrir les paupières... Grimace insoutenable, le bruit de quelqu'un dans la cuisine le fait automatiquement se redresser ; et il soupir de lassitude, de fatigue, laissant son cœur en tumulte raisonner à la place de sa tête. Lever du pied gauche, avec sa pauvre heure de sommeil, il sort de sa chambre après avoir enfilé un tee-shirt à manche longue noir et un jogging de la même teinte. Une cigarette aux bords des lèvres, il se dirige sans mot dire vers son bureau, le temps de lire ses mails de commandes et tout ce qui va avec ; du retard dans son travail, qu'est-ce qu'il branlait au juste ? Une main dans sa tignasse ébène, il jure entre ses dents, mort le filtre de sa sucette à cancer avant de partir en quête d'un café des plus noirs, comme les cernes qui hurlent son désespoir.
Et il te voit Tombe sur toi Te toise de son regard froid Rien qui suscite son émoi
« Tu pourrais faire moins d'bruit dès le matin bordel, j'sais pas si tu l'as remarqué, mais c'pas la joie pour moi en ce moment, alors mets y du tiens. » Cible facile que de te prendre en grippe, c'est mal, il le sait, mais il ne sait plus quoi faire d'autres, il a besoin d'évacuer sa pression, de laisser libre cours à sa rage, de lâcher des choses sans prendre de pincettes. Mais il ne veut pas te blesser, pas toi ; certainement pas toi... Et voilà, ce matin, il ne se contrôle pas, il a les nerfs qui lâche Kyosuke, il a le cœur qui craque Kyosuke, il a plus les épaules depuis les drames Kyosuke... Sick est mort et enterré et il doit vivre avec ses souvenirs retrouvés, il doit vivre avec les emmerdes qui lui colle à l'arrière train, sans broncher, les sourcils froncés, sans plier... Mais voilà, il n'y arrive pas et il s'en prend à toi, de bon matin, sans savoir vraiment pourquoi. « Et range moi ce bazar, c'est pas possible, tu le fais exprès... Il serait temps que tu grandisses putain. La vie est pas sucrée ni ensoleillé comme tu sembles le croire. »
D é g u e u l a s s e La pire des crasses Dans la méchanceté, il trépasse Sans te dire ce qui le tracasse
Poing cognant sur la table à sa dernière remarque, il s'en mord directement la lèvre inférieur, laissant la cendre tombée lentement sur le sol, avant de te tourner le dos et de préparer son café, sans rien rajouter de plus. Ce n'est pas son jour, ce n'est pas votre mâtinée ; ne lui en veut pas Hiroki, continue d'arborer fièrement ton surnom "Sunny" ; illumine sa terne vie...
"Le soleil vient de se lever, encore une belle journée et il va bientôt arriver, l'ami ricoré Sunny !"
Il était loin de la petite étoile que tu attendais, n’étant plus que l’ombre d’un lui-même dont il ne réalisait toujours pas qu’il se trouvait toujours là, agonisant dans ces entrailles brûlantes de haine. La créature aussi noire que son cœur arrivait à la fois paradoxalement titubante et le pas affirmé, écrasant dans son sillage toutes tes petites étincelles que tu venais d’allumer, les étouffant une à une. Tu les regardais agoniser pendant que lui déversait sur toi une pluie aussi sombre que son visage, à laquelle tu devais faire abstraction, laquelle tu devais laisser glisser sur toi-même le temps que tes pores aient tout absorbé transmettant au passage une part de cette obscurité à ton corps, à ton cœur. Tu serrais le poing, te contraignant, pour ne pas t’énerver, car tu savais que tout ceci n’était que le reflet de sa souffrance et taper sur des réflexions n’avaient jamais abouti à rien. Il fallait endiguer la source, mais son flot démentiel était aussi compliqué à localiser précisément qu’à tarir. Tu fermas les yeux, pour contempler tout ce que tu contenais à cet instant, avant d’expirer un bon coup afin de les voir se volatiliser. Ton sourire réapparu alors, te rendant compte à ce moment précis que tu l’avais perdu pendant les quelques tristes secondes où tu avais absorbé les ténèbres. Tu te tournas alors vers lui, arborant tes appendices dentaires comme des artefacts révélateurs d’once de lumière.
-"Désolé, je ne me rendais pas compte que je faisais autant de bruit… Je vais ranger, ne t’inquiète pas… Après, c’est bizarre que tu oses appeler ça un bazar, cela se voit que tu ne regardes jamais ta chambre en pleine journée !", lui lanças-tu en riant légèrement. "Tu sais Sick, je sais que la vie n’est peut-être pas aussi douce que je le voudrais mais sache que qu’elle n’est pas non plus aussi noire que ce que tu peux bien penser. En réalité, elle doit être grise la vie je pense, pas dans le sens grisâtre, non, dans le sens de la couleur. Certains la voit grise claire et d’autres grise foncée. Avec les événements de la vie, on a parfois l’impression de la voir changer de couleur mais au final, la vie, elle toujours grise, jamais blanche, jamais noire.",
Tu le regardais avec un regard plein de tendresse, ta figure toujours pavée de ton fameux sourire. Tu rangeas ta vaisselle dans le lave-vaisselle, enfilas une veste, ton sac à dos et tes chaussures.
"-Je vais au théâtre, j’ai besoin de me défouler et puis comme ça je te laisse te réveiller tranquillement et dans le calme. A tout à l’heure !"
Tu refermas la porte derrière toi, t’arrêtas sur le paillasson et expira à nouveau un grand coup. Il était maintenant temps pour toi, de te vider la tête et de décharger un peu du noir que tu avais pu absorber.
Arrivé dans ton défouloir préféré, ta seconde maison, tu ne perdis pas de temps. Tu enfilas ton jogging en quatrième vitesse et lanças la musique avant de danser et de chanter. Tu pouvais ainsi exprimer tout ce que tu avais dû contenir en toi ce matin. Le refrain sonnant comme un pamphlet libérateur.
now the waves they drag you down carry you to broken ground though i'll find you in the sand wipe you clean with dirty hands — foals // spanish sahara
Sinistre connard. Le regret monte, continuellement, puis redescend, fatalement. Soupir las, il ne cherche même plus à affronter ton regard, non, au contraire, il le fuit. Car il sait très bien Kyosuke, comment tu vas réagir, car t'es son petit frère, celui qui illumine sa vie si pourrit. Alors, il fuit, sans rien rajouter, sans te soutenir. Et tu te lances, ça y est, tu essayes de lui mettre du baume au coeur en plaisantant, mais Kyo' n'a pas la tête à rire, pas depuis longtemps. Rien ne va, et peut-être que plus rien n'ira jamais ; alors c'est en soupirant de plus belle qu'il écoute tes sentences, touillant sa cuillère dans son café sans relever la tête. Et t'entendre l'appeler "Sick" le rend malade ; quel paroxysme, c'est effroyable. C'est au moment ou il allait t'en faire la remarque qu'il s'heurte à ton doux regard, à ton sourire ancré sur ton visage. Tu n'as pas compris Hiroki, tu as beau être "Sunny", toute forme de bonheur à disparu de sa vie. Lui, il a apprit à ses dépends et il aimerait tellement t'en préserver... Mais non, rien ne vient, Kyo' se contente de rester terrer dans le silence ; comme un cadavre le ferait dans sa tombe.
La colère monte, elle gronde et ne demande qu'à exploser, mais t'as choisis le bon moment pour fuir, pour t'esquiver. T'avais rangé à la vitesse de l'éclair, t'étais préparé avec une rapidité non dissimulé, comme si t'avais qu'une envie, sortir d'ici, être loin de lui. Compréhensible. Il le sait Kyosuke, qu'il est irritable depuis un bon moment déjà, qu'il devrait sans doute faire quelque chose contre ça, mais il ne sait pas encore quoi. Depuis sa sortie de l'hôpital, un truc le ronge, depuis qu'il a apprit la vérité sur Philomène et Ilan, il n'est plus qu'une ombre. Peut-être bien qu'il se meurt sans vraiment y faire attention, se contentant de vivre ce qui lui tombe sur la gueule sans broncher, sans sourciller. Il était le malade, il se croyait devenir le soigné ; et le voilà maintenant fantôme d'une vie passé, qu'il a lui-même misérablement gâché. C'est en traînant des pieds et en baillant que le jeune homme se laisse tomber sur le canapé, la tasse posée au préalable sur sa table basse en bois. Le regard ancré sur son plafond, il ne sait pas quoi penser, ni même à quoi se préparer. Tu avais quitté la maison, comme ça, sans te rebeller, tu n'avais pas non plus éclater... En tant que grand frère, est-ce qu'il pouvait vraiment rester là, sans rien dire, ni rien faire ? La réponse était non. Il était devenu ton tuteur légal ; mais il était avant tout ta chair et ton sang, alors hors de question de laisser les choses en suspends.
Jogging dans lequel il se glisse avec rapidité, le jeune homme attrape ses clés, son portable, de quoi manger en cours de route et son porte-feuille avant de sortir en claquant la porte. Il enfile sa veste en jean en descendant les escaliers et c'est en ouvrant la porte du hall d'entrée qu'il rabat la capuche de son pull trop large. Kyosuke savait très bien où tu étais aller, alors c'est avec sa démarche nonchalante et son croissant entre les dents qu'il avance. Il ne lui aura pas fallut plus d'une vingtaine de minutes pour arriver à bon port, au théâtre dans lequel il pénètre sans faire de bruit, cherchant la salle dans laquelle tu t'étais fourré pour "te défouler." Et voilà que tu rayonnes en plein milieu de la scène, alors que lui s'avance dans l'ombre en se laissant glisser contre un des sièges. Que dire ? Que faire ? Kyosuke n'en sait rien, il attend que tu finisses de chanter pour enfin se lever et lâcher sur son ton froid et un peu autoritaire. « Je crois qu'on a pas fini de parler p'tit frère. » Il applaudit malgré lui, sans vraiment s'en rendre compte, car ta voix l'avait toujours rendu un peu moins fébrile, un peu plus heureux... Mais pas aujourd'hui. « Tu avais besoin de te défouler, contre quoi ? Si tu as des choses à me dire, lâche toi Hiroki. Je préfère qu'on parle plutôt qu'on s'esquive. »
Et c'est peut-être bien l'hôpital qui se fout de la charité, car Kyosuke n'a rien déballer de ce qui lui arrivait, qui garde pour lui ses emmerdes sans t'en parler. Mais c'est lui l'adulte, c'est lui l'aîné, c'est lui qui doit gérer et ce, depuis des années. La mâchoire serrée, il descend les escaliers, à la frontière de ta lumière vient son obscurité. « J'suis venu pour te dire une chose, ne m'appelle plus jamais "Sick"... Bizarrement, ça me rend malade ; amusant, pas vrai ? » Il ne sourit pas, il n'y arrive pas, il se contente de baisser la tête, sa capuche toujours vissée sur la tête. Ne lui en veut pas Hiroki, mais il faut crever l'abcès, il faut que vous vous parliez, il en a conscience Kyosuke, mais ce n'est pas évident... Car dur sera la descente.