Ce fut un craquement soudain ; rapide, fugace mais irrémédiable.
Le manche de son pinceau se tordit sans tout à fait se briser ; le bois poli déchiré en dents de scie.
Au loin, le croassement d’un oiseau ; la rumeur de l’eau qui coule ; le bruit diffus du vent impalpable.
Quelques feuilles s’envolèrent à la suite du décès ; comme pour commémorer la perte de celui qui, quelques instants avant, les avait orné de tracés noir sur fond blanc. Hiro resta quelque instant à fixer silencieusement les pieds qui avaient brusquement reculés après leur crime fortuit. Son regard de jet se perdit vaguement dans les reliefs de l’herbe, irisés par l’éclatante présence du soleil. Un moment de battement dans l’alcôve de tranquillité formée par les abords de l’étendue bleutée.
Hiro, proche de l’eau — un poisson.
Il releva la tête lentement ; sa tête impavide n’exprimant ni colère ni rancœur. Face à lui, un drôle de lutin aux cheveux de miel ; aux oreilles sylvestres ; au visage maculé d’innocence. Quelques échos de ses nombreuses excuses se percevaient encore dans la posture adoptée par le jeune inconnu. Les sourcils de Hiro, cette épaisse trainée corbeau évoquant les rangées d’algues noires sur les plages de Bretagnes, s’élevèrent en striant son front de quelques rides. Cette dévotion polie… ; Hiro avait l’impression qu’une éternité le séparait du Japon. L’enchainement de courbures l’avait projeté pendant quelques secondes dans une société qu’il avait fréquenté si longtemps ; et qui à présent, lui semblait si loin. Il réalisa qu’en dehors de toute contemplation, il allait peut-être falloir rassurer le garçon.
Le visage de Kye lui passa succinctement dans la tête. Un sourire — de la chaleur ; Et quelques mots pour l’aider à formuler ce qui l’habitait à présent.
« Ce n’est pas grave.
Vraiment. »
Il se lève, époussette son pantalon marqué par la terre sèche, récupère lentement les feuilles qui se sont échappées. Les tracés qu’on y aperçoit sont maladroits; tremblants, épais. En remarquant leur aspect, Hiro s’empresse de les plaquer contre son torse. Un enfant gêné d’avoir été pris sur le fait de sa maladresse. Ses joues vulgairement taillées, en des pics pointus, se ternissent d’un rouge dilué de l’épaisseur de son épiderme. Il jauge le garçon avec embarras. L’un de ses doigts se met à frotter doucement l’arrête de son nez, et sa bouche épaisse se feint d’une discrète grimace. Il soupire, pour lui-même.
« Je m’appelle Hiro. »
Entendre son propre prénom tinte comme un son de cloche tout nouveau. Le Japonais se dit qu’il commence vraisemblablement à se fondre dans l’épaisse strate de la société américaine. Bientôt ; seul ses coups de pinceaux lui rappelleront qu’il a navigué entre d’autres eaux.