Stay Awake - Madeon ft. Ellie Goulding

Jour de repos aujourd'hui, mais certainement pas reposant. Trop calme, il se noyait dans le silence.
Pour lui qui avait l'habitude de courir, sortir, bouger sans jamais s'arrêter comme si le moindre répit le changerait en statue de pierre pour l'éternité.
Ironique, quand on se dit que c'est en voulant aller trop vite
qu'il avait paralysé la moitié de son corps à jamais.
Il s'était donc retrouvé là, avachi, forcé à rester alité toute la journée, à se lever le moins possible.
Naï avait lu Le Clan des Otori, regardé le Seigneur des Anneaux avant de finir par zapper sur les émissions stupides qui passaient à la télévision.
Trop peu d'intérêt. Trop ennuyant. Et il fallait fuir la diffusion des J.O., dont il n'avait certainement pas envie d'entendre parler, quand bien même il s'agissait des jeux d'hiver.
Sans crier gare à vous, il avait fini par s'endormir.

C'est encore ce cauchemar, et Nai s'en retrouve prisonnier, comme d'habitude, sans pouvoir rien faire. Il le déteste. C'est la même chose tout les matins, tout les réveils.
Il aurait pu faire comme si de rien était, juste se contenter d'ignorer en gardant en tête que ce n'était qu'un rêve, mais comme d'habitude il oubliait. Comme à chaque fois, il court dans le noir, les sirènes des ambulances hurlent à ses oreilles, le sol s'ouvre sous ses pieds et
il tombe. Il tombe encore et il n'y a rien qu'il puisse faire avant qu'il ne-

"Mreow"

EAP était venu le réveiller. Sa gamelle était vide. Même si, le connaissant un peu, c'était probablement un acte des plus désintéressés, il lui en était reconnaissant.
Les mains encore tremblantes, il prit le vieux matou gris dans ses bras. Mais assez peu câlin, le félin n'était pas de cet avis, et se contenta de pousser avec ses pattes pour s'en extirper.
Tant pis.
Une fois suffisamment réveillé, il se contenta de retourner dans son fauteuil afin d'aller nourrir le fauve.

Il quitta enfin sa chambre/salon pour se rendre dans la cuisine et saisir ce paquet de croquette et
et il y avait quelque chose de bizarre.
Pendant plusieurs secondes, Naï se demanda s'il saisissait bien ce qu'il voyait.
Un homme (?), appuyé à sa fenêtre, discutant avec... ses chats?

Il rêvait sans doute encore.
Rêvait-il?
Il ne le savait pas.

Il se frotta les yeux, une fois, deux fois, se pinça la main, chercha ses lunettes car il n'avait pas le temps de mettre ses lentilles, sorti plusieurs fois de la pièce pour y retourner à la recherche d'une quelconque contradiction si commune aux rêves mais
rien.
Il ne rêvait pas.

Un peu trop perdu et fatigué, il se contenta d'ouvrir sa fenêtre d'un air blasé. Il cherchait un peu de rebondissement dans sa vie un peu trop plate, mais ce n'était pas exactement ce qu'il avait entendu par là.

- oh bonjour vous devez être naï ! je suis midi potiron ! P-O-T-I-R-O-N ! enchanté, vos chats m'ont beaucoup parlé de vous !

S'en suivirent quelques longues secondes de silence, où il fallait décortiquer un peu tout ce qui venait de se passer. Pendant lesquelles il se contenta de faire passer son regard entre deux de ses chats - Neil et Zola, plus précisément - et l'inconnu dénommé Midi.
Drôle de nom.
Critique pas Naï, le tien est pas mieux, tu sais bien qu'on le choisi pas.

Il y avait donc à sa fenêtre un inconnu qui... le connaissait visiblement. Qui se présentait comme... comme un escroc qui sonnait à votre porte pour vous vendre des assurances foireuses. Voilà, c'était ça. Le genre de type un peu trop familier dès le départ qui semblait louche.
et
il parlait à ses chats?
Le plus dérangeant, c'est qu'à sa grande surprise, il ne mentait pas. Ce qui induisait une vérité.

La situation lui échappait, il ne comprenait rien à ce qui se passait.

- midi.... se contenta-t-il de marmonner alors qu'il cherchait un peu à comprendre et à se réveiller davantage.
Sans trop savoir pourquoi, il consulta sa montre.
17h36, ce n'était pas midi.
Avait-il seulement mangé?
C'est des questions qu'il faudrait se poser avant, Naï.

- ok midi... midi... j'ai plusieurs question. Déjà, est-ce que c'est un cauchemar? Ou bien encore une éclipse. Ensuite... déjà d'où tu connais mon nom, donne moi une preuve que mes chats te parlent et une raison de pas appeler les flics. Et d'où tu leur parles déjà? Tu leur as pas fait de mal au moins?

Bien qu'il soit réveillé, ça reste pour lui un cauchemar.
Midi l'agace, l'irrite, lui donne envie de se lever de son fauteuil et de l'éclater par terre et de le -
mais il ne peut pas, alors efface cette idée de ta tête Naï.

- Ouais, bah c'est dommage que tu sois pas aussi doué pour fermer ta gueule. Est-ce que tu te balades sérieusement avec un pigeon fantôme sur ton épaule? Je suis sûûûûûr que les hellébores seraient enchantés de savoir qu'un connard de myosotis traine dans les parages, fit-il tout en prenant une photo de sa maudite tête blonde.

Il ne respectait pas son intimité, pourquoi en ferait-il de même?
Les nouvelles se répandent vite, midi. Il avait son nom, son prénom
midi potiron, c'était peu commun mais pas bien difficile à retenir
et maintenant son visage.

Il avait tout en main pour le faire dégager à jamais et ne plus revoir sa sale tronche pendant au moins plusieurs mois.
Mais il y avait quelque chose...
Ce type pouvait vraisemblablement parler à ses chats et les comprendre, pour leur répondre en retour. EAP, qui était si souvent malade et qui lui coutait toujours si chers en soins vétérinaires...
peut-être pourrait-il avoir une utilité, finalement, ce midi potiron.

- Mais peut-être qu'on pourrait s'arranger, toi et moi. Tu me donnes ton numéro, et si un de mes chats est malade, t'as plutôt intérêt à rappliquer. Comme ça, tu peux voir les chats, moi j'allège mes dépenses sur le mois... tout le monde est gagnant, nan?

Le seul prix à payer était de devoir supporter ce... peu importe ce qu'il était. Mais c'était bien peu cher à côté des factures de $60 pour des consultations qui aboutissaient à une ordonnance pour des médicaments qu'il possédait déjà.

- Et sérieusement, soit plus discret avec ton pigeon mort là. Je sais pas si tu viens de débarquer ici, mais les souvenirs de ta petite vie passée de piaf, des gens mal intentionnés te les prennent quand ils veulent, et ton avis ils s'en branlent.

La main tendue de Midi lui arrache un rire bref. Naï lève les yeux vers cet inconnu en lui lançant un regard méprisant. S'il pensait pouvoir supprimer sa photo comme ça, c'en était presque insultant. Et s'il n'avait aucune arrière pensée... c'était bien trop innocent, mot que l'infirme associait un peu trop à la stupidité. Dans tout les cas, pour lui, Midi était un abruti.
- Tu me prends pour un con Midi ou bien? fit il tout en arrachant une feuille de papier et attrapant à la volée un crayon rose qu'il reposa aussi vite il ne fallait quand même pas qu'il voit ça noir pour qu'il écrive son numéro sur du papier. Tient, ça, c'est très bien aussi.
Mais il y a comme un problème et
ses sourcils se froncent timidement à leur tour en réponse à ce souvenir qu'il aurait préféré ne jamais raviver.

Ces photos ces flashs qui claquent au beau milieu des rires moqueurs et ces jeunes aux yeux rougis qui pleurent parce qu'ils en ont marre
marre d'être prit pour des cons des moins que rien et des ordures et d'être appelé calculatrice parce que des boutons poussent sur leurs joues comme les bourgeons du printemps.
Marre d'être malmenés, eux qui n'avaient rien demandé.
Et Naï rit, il rit aux éclats face à tant de ridicule, et les supplices du jeune homme et ses tentatives vaines de lui faire supprimer cette photo le poussent à la diffuser sur les réseaux sociaux avant de s'en aller s'afférer à autre chose
comme si rien ne s'était passé
alors qu'il détruisait sans s'en inquiéter les joies et les espoirs des innocents qui l'entouraient.

Il cligne des yeux une deux trois quatre fois à la volée, restant là avec son papier et son crayon qu'il tardait à donner, à se demander jusqu'où il avait bien pu aller par le passé. Naï avait évité cette période de sa vie depuis son arrivée à Foxglove, se trouvant pour excuse que c'était là le début d'une nouvelle vie. Mais plutôt que d'affronter celui qu'il avait été il le fuyait juste. Il ne voulait pas y penser - il en était un peu honteux, il fallait l'avouer - c'était pour le mieux, pour l'instant. En revanche, ça finirait bien par le rattraper.
Les lèvres pincées il retient un soupir et pose sur ses jambes insensibles ce qu'il tenait dans la main pour récupérer son téléphone.
Il suffit de trois clics et les voilà disparues, comme si elles n'avaient jamais existé.
- Et t'as plutôt pas intérêt à te barrer avec. Tiens, écris le.

je suis un gars bien, on s’en prend pas aux gars bien pour des choses aussi futiles et il avait raison. Il ne lui avait rien fait de mal jusque là. Rien qui ne justifiait ça...
le fait que c'était un myosotis peut-être
inutile de chercher une raison Naï, qu'est ce que lui faire du mal pourrait bien t'apporter après tout
la paix
oh Naï, arrête tes conneries, toi qui pleure à te demander pourquoi tu es si seul la nuit.
Ça ne doit pas être une mauvaise personne si même Zola se frotte à ses jambes en ronronnant.

- Il peut pas s'envoler ton piaf là? Ça serait déjà plus discret. Foutus myosotis à la con...
Toujours à s'exhiber avec leur fantôme.

Voir le sourire de Midi disparaitre soudainement créait cette sensation cinglante dans le coeur des gens, et donc celui de Nai, sans vraiment trop qu'il ne sache pourquoi la mou d'un inconnu le dérangeait autant.
Sans doute parce que Midi était un soleil, et que comme l'immense étoile il était toujours flamboyant. C'était sa nature de briller, d'apporter la chaleur à ceux qui l'entouraient.
Mais les nuages gris sombre d'orage qui venaient parfois le cacher restaient rarement inaperçus. Et bien souvent, ne plus voir sa lumière était déstabilisant, presque gênant.
Il en était de même pour Midi.
- Donc t'étais un oiseau avant.... fit-il en récupérant son portable tout en observant la colombe. C'est triste comme vie.

Quelle vie de réincarné n'était pas triste? S'ils étaient revenus, c'est parce que leur vie passée n'avait pas été vécue. Elle était passée... là, quelque part, immobile dans l'espace et voguant au milieu du temps qui passe sans trop savoir où ils se trouvaient.
C'est pour ça que Naï ne comprenait pas pourquoi ils tenaient tant à leurs souvenirs.
La plupart étaient si douloureux, si tourmentants qu'ils empêchaient de vivre la nouvelle vie qu'ils avaient et
qui sait s'ils auraient une autre chance? Probablement pas.
Il voyait les myosotis conserver leur mémoire du passé et toujours regarder vers l'arrière, se demandant ce qu'il y avait de si bien, de si bénéfique à conserver les mémoires des morts.
Lui-même ne se souvenait pas de ce qu'il avait vécu, mais il gardait en mémoire la sensation des yeux irrités par les larmes et la marque de ses ongles sur ses paumes tant il serrait les poings car c'était trop douloureux à revivre. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il s'était suicidé, pour en finir. Pour ne plus jamais avoir à faire face à ces peines et ces pleurs et ces cris et ces angoisses et -
peut-être était-ce lâche, mais il préférait oublier.
- Mais faut pas-  je sais pas Midi y'a d'autres moyens de voler que de vraiment voler. Elle peut marcher ta colombe. Elle verra le monde d'en bas mais des fois la vue est pas si mal, ça permet de... voir les choses sous un autre angle.
Était-ce là un conseil qu'il se donnait à lui-même? Peut-être, mais ça ne lui effleura même pas l'esprit. Pourquoi essayer de le raisonner de toute façon. Sa colombe ne volerait jamais. S'il voulait vraiment ne plus avoir de soucis, ne plus être peiné, et continuer à sourire, il n'avait qu'à effacer ses foutus souvenirs. Et s'il avait du remord, effacer toute trace de l'existence de sa vie d'oiseau. Il ne s'en souviendrait même pas, alors où était le problème?
- Au pire tu l'accroches sur un feu d'artifice et il va finir par s'envoler ton poulet.