histoire
Clown fait le beau, fait le mort, donne la patte, roule, aboie, se couche, s'assied, se lève, pleure sur commande mais dans son unique oeil ouvert brille un feu de bois vorace, carnassier. Et si Clown n'aime pas les enfants il aime encore moins les adultes. C'en est pareil des animaux (qui est donc ce petit pilon de poulet piou piou qui s'en vient parfois picorer piou piou sa maigre patée du soir ?). En revanche, il apprécie tout particulièrement l'opéra, surtout chanté en italien. Il comprend le langage des hommes sans toutefois le parler autrement que par des bribes de mots dans les esprits et quelques aboiements comiques. Il adore qu'on lui récite à voix haute des contes de fée (Barbe Bleu étant son préféré), qu'on le gave de sucreries jusqu'à le faire vomir. Il pleure quand on veut lui faire sa toilette et qu'on lui montre un film avec d'autres chiens. Il aimerait beaucoup apprendre à lire (sans doute collera-t-il sa truffe aux carreaux froids du club de lecture en espérant entendre la douce voix de cette libraire au charmant minois).

Clown se souvient de la seule fois où Dieu lui parla quand il claqua l'air, claqua sa tête pour la première fois en guise de punition pour avoir fait jaillir le sang noir et salé des mains (car pour Clown le rouge n'existe pas) de son humain, les mains de son Dieu qu'il vénère tout autant qu'il craint. (Pardon, pardon. Je t'aime encore tu sais). Car le cirque est son amante, sa meute, son foyer et il retourne toujours dans ses bras comme des grandes ailes sous ses tentes peinturlurées, même les nuits où il fugue pour hurler aux étoiles car elles seules le comprennent totalement.
Et il aime son Maître, oh oui qu'il l'aime. Il lui dit même tous les jours en aboyant, en battant la queue et lui apportant son journal. Il lui dit dans ses coups de tête, ses coups de langue, ses coups de gueule, quand il montre son ventre, tend la patte, se lèche les babines, cligne de l'oeil, veille sur lui religieusement chaque soir où il s'endort en se disant que demain, oui, demain sera le jour où Clown lui montrera vraiment à quel point il l'aime vraiment quand il serrera sa nuque contre ses crocs, fera chanter les ossements, danser les vertèbres, que sa langue connaitra à nouveau les vapeurs rouillées et suaves du sang du Maître, que sa truffe sera humide et luisante des giclées d'hémoglobine qui lui empliront, la gueule, la trachée, l'estomac tout entier. (Pardon, pardon. Je t'aime toujours tu sais). Et il aura beau lécher la plaie à vif, pleurer toutes les larmes de sa carcasse de canidé, plus rien ne sera jamais plus comme avant. Car aimer se fait avec les dents et l'amour ne rend pas heureux. Et Dieu sans son Humain, sans ses mains douces et calleuses et dures et ridées ne lui fera plus jamais de mal puisque Dieu appartient aux Hommes comme la Lune appartient aux Loups.

Et Clown pleure toujours sa mère dont il déchira le ventre, cette fameuse nuit de novembre quand les chasseurs sont venus la chercher, lui passèrent la corde autour du cou et le vendirent au cirque. Quand la muselière devint collier, quand le collier appela Dieu et ses mains et son odeur de tabac froid et de pop-corn chaud. Quand on le droguera à coups de barbe à papa, de tapettes sur le museau et qu'on le fera danser sous la mélodie des sifflements de Dieu lui-même qui danse déjà dans les airs, le menace de tout en haut sous les chapiteaux de venir à nouveau s'éclater sur son oeil meurtri.

À Dieu donc les bois, la pluie, la boue, les roulades dans les rues sales, la chasse aux trésors dans les poubelles, les jeux dans la rivière, les morsures de sa soeur, les glapissements de ses frères, les léchouilles de sa mère, les courses avec le vent, les cache-caches dans les cartons et les terriers, les chasses au lapin, au mulot, à la perdrix, aux restes du Mgronald's et des pizzas froides, les bagarres avec les bâtards du quartiers et les belettes de la forêt, les conversations avec la lune et tout ses enfants dans le ciel, les bains de minuit dans la rivière, la terre sous les pattes, les flocons sur le museau, le sang sur les crocs. À Dieu. À Dieu.
Adieu.