Gris. Tout était gris. Les bâtiments, les arbres, les gens, le ciel, les sourires. Il voyait la ville comme une pluie d’hommes en noir et blanc qui défilait devant ses yeux fatigués. Rien n’était extraordinaire. Les choses existaient simplement, sans une once de bonheur, de poésie, d’existence. Il se croyait dans un théâtre, un endroit où tout était déjà déterminé, où tout n’était qu’illusion. On pensait que les rêves se réalisaient à New York. Mais c’était plutôt les déceptions qui y pullulaient. On lui avait dit qu’il vivrait une vie magnifique, parfaite. Mais il ne voyait que le gouffre d’une société superficielle. Sa vie était pourtant calme, tranquille. Mais au fur et à mesure, il se sentait oppressé, anéanti par une société qui lui imposait des codes et des comportements. Il n’avait pas le droit de s’endormir sous les arbres, de flâner dans les rues, et surtout, d’aimer ce qu’il voulait, d’aimer qui il voulait, de tracer sa propre route et de vivre sa propre vie. La plante verte ne pouvait être une vraie plante verte. Obligation de suivre les règles, d’être comme les autres. « C’est pour ton bien ». Mais il ne vivait pas la vie, seulement une vie simple, voire simplifiée. Une fois qu’il eut compris qu’il était en train de rater sa vie, restant toujours seul les soirs, travaillant sans arrêt pour ne pas avoir d’excellentes notes, voyant de moins en moins le soleil et ses camarades, pourtant sympathiques à son égard, il se mit en tête de partir. Il acheta des cartes des États-Unis, travailla d’arrache-pied pour avoir de l’argent, prépara ses valises, puis, un beau matin, il partit. Disparu, sans laisser de traces. Avec un simple mot laissé sur la table de la cuisine.

« Je pars vivre ma vie. »

La brume était encore là, les rues étaient encore vides, les lampadaires allumés éclairaient faiblement les allées ternes et bizarrement, beaucoup plus éveillées que d’habitude, alors même que tout le monde dormait. Il ne croisa personne, et pourtant il lui semblait que les rues étaient pleines de vie. Peut-être que la ville n’était pas si triste. Peut-être qu’il fallait juste un œil neuf, nouveau, éclairé, pour pouvoir observer ce monde sous un jour meilleur …

À la recherche du temps perdu, Golconde explora des forêts, des lacs, des plaines, des grottes, des cavernes même, il vécut sur la route, dans les hôtels et motels qu’il trouva sur son chemin. Tels des tableaux de Monet ou de Van Gogh, tout était plus coloré, plus vivant. Il sentait le souffle du vent comme le souffle de l’aventure, les rayons du soleil comme de la joie, l’eau qui coulait comme la vie qui s’écoulait lentement, paisiblement, simplement. Il avait le sourire aux lèvres. La vie n’était plus une pluie morne, mais une pluie de bonheur.

Finalement, au gré des routes, il arriva dans la mystérieuse petite ville de Foxglove Valley. Non point une grande ville élevée vers le ciel, mais un bout de terre mystérieux et pourtant attirant. Quelque chose en lui le poussait à poser sa petite valise presque vide, et pourtant chargée de souvenirs et de symboles de son ancienne vie, dans une petite chambre d’hôtel de la bourgade. Ses cheveux autrefois bruns devinrent blancs, comme pour signifier un nouveau départ, une nouvelle page blanche que les couleurs n’auraient plus qu’à découvrir. Il s’inscrivit à l’université en histoire de l’art, pouvant enfin vivre sa passion et sa vie comme il l’entend, alors qu’autrefois – un temps à présent révolu – il vivait la vie d’un autre.

Golconde, c’est une cité détruite, mais pourtant si riche. Ce nom, il aurait pu le prendre avant, pendant son ancienne vie, pour symboliser la perte de ses espoirs. Mais pourquoi pas ? Pourquoi ne pas vivre comme dans un rêve surréaliste ? C’était ça, sa nouvelle vie.

Dorénavant, plus personne ne saurait son vrai nom. Golconde, voilà la vraie personne qui se cache au fond de son cœur. Cette personne qui allait pouvoir étendre ses feuilles sous le ciel bleu et les couleurs et la vie, sous un soleil si beau et si brillant mais si incandescent. Bref, la jeune pousse allait s’ouvrir, grandir, grandir encore, et s’élever, s’élever toujours plus haut et toujours plus magnifique. La vie était là. La vie. Non pas une vie, la vie.