sur le coup tu n’as pas vraiment compris ce qu’il se passait. tu t’es sentie projetée hors de ta prison. ta joie fut brève. il n’y avait plus d’eau. tu étais dans la merde jusqu’au  branchie. tu t’es débattue longuement avant de retomber sans force au sol.

si tu en avais été capable tu aurais versé des larmes. tu aurais déploré ton existence si éphémère. si tu en avais été capable tu aurais ris parce que tu allais mourir pathétiquement. sans aucune trace de ton passage.

petit poisson sans nom dont le tombeau allait être parmi des étrons. Affronte sereinement ta fin pour mieux vivre ton prochain lendemain. le bruit de la chasse d’eau n'était que le début de quelque chose beau.

tu te souviens de tout. et ça te fait chier. il y a des choses que tu voudrais délibérément oublier, mais elles sont ancrées dans ta mémoire. tu as dû apprendre à classer tes souvenirs pour ne pas être submergé par le tas d’info que ton cerveau enregistre. encore là, il y a des jours où tu penses que ta tête va exploser et que tu vas y rester.

tu es plutôt maladroite avec les autres et avec les mots doux. tu ne sais pas comment interagir avec eux et tu ne sais pas de quoi parler non plus. tu peux paraître sans tact par moment lorsque tu décides enfin d’ouvrir la bouche. oui, tu es un tantinet trop franche. tu salues tes proches avec une bonne tape dans le dos et une insulte qui sonne étrangement affectueuse. tu exprime ton appréciation gauchement. tu n'es pas la plus douée dans ce domaine. Être sarcastique et cracher ton venin sur les autres, c’est tellement plus simple.

tu as beau paraître une éternelle je-m’en-foutiste avec ton masque impassible planté au visage ou fixer des personnes pendant des heures sans broncher. tu ne les ferais pas marcher car tu es la première à baisser le regard quand on te surprend à les observer. c’est toi qui panique intérieurement lorsqu’on t’accorde un peu trop d’attention. tu suffoque et tu t’entêtes à garder une façade qui s’effrite à chaque fois. ton masque n’est pas fort. tu es un livre ouvert. on n’a qu’à regarder tes tics nerveux. tes ongles ravagés par tes dents. ta lèvre inférieure qui se fait mordiller sans relâche. tu essaies de te donner des grands airs. c’est plus facile de faire semblant d’être confiant que de faire face à ton infériorité. tu as toujours préféré courir de toute façon. Être lâche, c’est inscrit dans ton adn.

Tu ne veux pas te montrer vulnérable.  Ni paraître faible. Mais une voix (la tienne) te chuchotera toujours que tu n’es pas assez bien, que tu ne vaux rien. Alors, tu ravales tes larmes et tu essaies de recoller les miettes de ton estime fragmentée.

Il y a cette peur qui te ronge, sage. Celle de ne pas pouvoir laisser ta trace. et tu ne pas t’empêcher de penser que c’est le vestige de la vie passée que tu essaies tant d’effacer.

(la marque indélébile du poisson mort insignifiant)

HISTOIRE tu ne te souviens pas du manque d’air. ni du corps emporté dans un tourbillon. encore moins la  carcasse d’un poisson voué à l’abandon. (triste sort pour un mort) (pauvre enfant au premier rang  de cet évènement)

tu te rappelles de tes larmes amères. du vacarme dans ta tête. le choc de ta découverte. la honte qui te dévore l’âme. des mots susurrés au creux de ton oreille par ta mère et la main de ton père sur ton front. (un toucher qui faisait oublier)

tu avais peur de quoi? tu ne t’en souviens pas. quelle était l’origine de ton effroi? tu ne t’en souviens pas. il ne restait que des brides incompréhensibles. (l’écho d’un souvenir supprimé)

arraché de ta mémoire. condamné à rester dans le noir. Le petit poisson sans nom désirait une simple connexion. (ses souhaits ne se réalisent jamais)