Une odeur de rouille mêlée à celle du désinfectant pèse sur les lieux. C'est une ambiance lourde, carrément lugubre qui règne dans ce studio, tout petit et tout rouge et marron des traces de sang qu'on a fait gicler même jusqu'au plafond. Pourtant Earl Grey s'y trouve presque bien sur cette crime, accroupi, le nez au dessus d'une moquette carmin où l'on devine la trace du corps qu'on a retrouvé au petit matin. Il tapote du doigt sa joue d'un air pensif, essaye déjà d'avoir le fin mot de l'affaire quand il parle mentalement aux taches vermeilles en sachant très bien qu'elles ne lui répondront jamais car quand bien même elles le feront il sera temps pour lui de consulter. En attendant le médecin légiste qui est resté après le départ de toute son équipe, songe encore à ce que ça doit faire, d'agoniser là, sur cette carpette immonde avec dix-sept coups de couteaux dans le thorax et trois côtes brisées. Pas de balles, aucun coups de feu signalés et pourtant on a retrouvé le glock armé du propriétaire bien caché sous l'oreiller ainsi que des traces de poudre sous les draps. D'expérience l'arme blanche c'est personnel tandis que le fusil c'est le business. Alors qui ça peut être ? Une amante ? Probablement pas. Les femmes ne tuent pas comme ça. Rarement aussi violemment. Elles ont d'autres armes que le schlass et les guns avec leurs yeux doux et leurs poisons sucrés, leurs cils noirs et leurs langues acérées tranchantes et cinglantes comme un coup de fouet entre les reins. Et on en redemandera encore parce que tous les hommes sont des masochistes refoulés. Bref. Si femme est le meurtrier, il faudrait qu'elle soit sacrément grande car en regardant à nouveau les giclées sur le papier peint, sur le lit, sur le sol et même une bonne partie du mobilier le coupable doit faire un bon mètre 85, 90 même par rapport à la taille de la victime. Mais les plaies sont pas nettes, approximatives même. Sa poigne n'était pas assurée. Premier crime ? Et au nom de quel motif ? Depuis la nuit des temps, qu'est-ce qui pousse les hommes à se charcuter ? L'argent, la gloire, le pouvoir, la jalousie, le sexe ? Oserait-il le dire même... l'amour ? Et...
▬ Putain de merde, on peut pas être tranquille deux minutes ici pardi ? A-t-il juré en entendant la porte d'entrée grincer. Il jette un regard noir à celui, ou plutôt celle, qui ose le déranger.
▬ Oh bonjour Theresa. Sa voix s'est faite un peu plus douce mais elle est restée néanmoins rauque car on ne cache jamais vraiment totalement le loup sous ses habits de moutons.
Se redressant, Earl Grey se saisit d'un bouquet de célosies oranges et fuschias qui trainait là, dont les couleurs lui rappellent l'éclat flamboyant de sa longue chevelure rousse, et le place entre les bras de la demoiselle avant de plaidoyer d'un air faussement mielleux :
▬ Une petite heure ? S'il te plaît ?
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Mar 21 Nov 2017 - 12:00
de peaux lisses
- just another clever psycho -
dans le couloir déjà elle était prise à la gorge par l'air gangrené par l'atmosphère lourde aux effluves acrimonieuses de mort. l'éther était rouge d'un rouge vermeil aux odeurs de rouille et aujourd'hui elle n'était ni reine ni sainte mais de blanc vêtue pourtant comme un ange funèbre venu se gorger de votre sang (le laver pour expier ses péchés, délaver à la javel le rouge cruor pour nettoyer son âme) elle pousse la porte indifférente à la volée d'injures pour le retrouver là la carcasse noire comme un grand corbeau venu repaitre son esprit de votre humanité viciée salut earl. et dans ses bras offerts déjà un bouquet d'aube elle soupire bruyamment en majesté difficilement conquise oh non non non, tu veux encore me faire finir plus tard c'est ça ? (elle prend les fleurs pourtant) car elle le connait ce petit jeu si bien déjà en valse jouée mille fois elle est reine clémente theresa elle dira toujours oui tu peux pas prendre des photos ? j'aimerais juste nettoyer et me casser d'ici. les yeux déjà gavés du cramoisi qui dévore tout dans cette pièce les murs le plafond la moquette (eux aussi bientôt) ultra glauque ce studio. comme un miroir des tréfonds de vos âmes de votre humanité souillée sirène s'étonnera toujours de tout ce qu'un homme peut saigner.
Du blanc, du blanc, du blanc ! Oh il aurait du demander du demander à la fleuriste quelques touches d'ivoire dans son bouquet, histoire que ça aille avec sa tenue. Earl comprend pas. Pourquoi elle est habillée d'une couleur aussi salissante. Si c'est son nouvel uniforme ou une lubie de sa part. De base, il aimerait bien savoir ce qu'un beau brin de fille pareil fout ici. Avec son petit minois, Thérèse pourrait avoir le monde entier à ses pieds ou tout du moins tout Foxglove Valley. Mais à la place, la voici, la voilà, l'ange anonyme des scènes de crime, les petites mains blanchisseuses des assassinés. C'est une nana d'une modestie et d'une simplicité presque touchantes même quand elle exprime son agacement car elle consent tout de même à accepter son cadeau. Il n'y a pas de sous-métier après tout... Et pourtant, bien qu'il soit secrètement content de la croiser au détour d'un énième macchabée, Earl aurait préféré la rencontrer à la terrasse d'un café ou derrière le comptoir d'un supermarché. À n'importe quel endroit qui lui siérait un peu mieux que la froideur, la crasse et le silence que laissent les meurtriers. Vraiment.
▬ Tu devrais demander à être payée à l'heure. Je ferais de toi une millionnaire ! Qu'il répond d'un air faussement indolent, en essayant de ne pas sourire trop fort pour ne pas avoir l'air trop con.
▬ Déso je viens de poser un produit sur le lit pour relever des empreintes, il faut un moment pour que ça agisse. Mettant ses mains dans ses poches et ricanant : Quoi tu veux dire que Mademoiselle - il le dit en français avec un accent déplorable [color:4f05=STEELBLUEc'es]ne trouve pas sa suite royale à son goût ? Le médecin légiste est taquin mais c'est vrai qu'il n'y a bien que les fleurs qu'elle a entre les mains et la rousseur de sa longue chevelure pour égayer un peu la pièce. Ce n'est pas lui, tout de noir et de blanc vêtu, avec ses cernes et sa gueule refrognée qui va illuminer l'appartement. En réalité, il s'y accorde presque et c'est un peu triste de le constater. Earl a beau avoir la dégaine d'un mort-vivant, sa place n'est pas encore six pieds sous terre.
▬ Tu peux commencer par la salle de bain si tu veux mais ferme bien la porte sinon ta putain de javel va empêcher mon truc de marcher. Ou alors. Ou alors. Osera-t-il ? Même quand elle dit « non », Thérèse soupire toujours des « oui ». Sa merci est attendrissante. Tout le contraire de lui. Il pourrait la plaindre, mais préfère l'admirer. Il respecte ses choix, sa philosophie de vie, la trouve brave dans toute sa macabre humilité. Ou bien je t'invite à boire un café en bas. Pour une fois j'ai rien d'autre à faire.
Il aimerait bien qu'elle dise un vrai « oui », pour une fois, mais ce n'est pas comme si la situation était un peu inappropriée. C'est qu'ils sont tout les deux censés travailler.
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Ven 8 Déc 2017 - 17:30
de peaux lisses
- just another clever psycho -
elle rigole toujours car thérèse est un de ces anges de mort qui ne savent que trop sourire, les bras chargés de floraisons d'étain elle a l'allégresse aux lèvres alors même que l'air suinte de ses émois morbides. de leur indolence ils feraient danser les morts soumets l'idée à mon boss et je te laisserai peut-être tranquille. espiègle peut-être, elle avait nourri cette torpeur face aux cadavres et elle se trouvait dégoutante, tant abreuvée de sang qu'elle n'en voyait plus la couleur (tout était rouge toujours, rouge passion et cruauté) dans le blanc de son uniforme elle se sentait déjà souillée. elle grogne (canines luisantes) mais ses lippes s'étirent avec la malice d'une reine qui ne saurait être féroce, prise au piège dans les teintes carmin mais pas pressée en vérité car elle n'avait nulle part où aller. j'suis sûre que t'as fait exprès de le poser maintenant JUSTE pour que je sois obligée d'attendre. elle glisse sur lui son regard vipérin pour oublier l'incarnat au noir funèbre de sa carcasse. pour thérèse la mort était rouge alors earl et ses reflets d'obsidienne avaient l'écho du vivant. j'ai une vie moi monsieur. mais ta vie c'est quoi sirène, toi qui n'as plus d'âge ni d'âme, égarée au fleuve des ans à l'ombre des églises, à la merci du malin. ta vie ce n'est rien sinon t'écorcher les genoux chaque dimanche matin dans des prières vaines pour effacer les fautes de tes samedi mutins. je vais pas m'enfermer dans deux mètres carré avec des vapeurs de javel, j'ai pas envie de m'évanouir, t'es fou. je préfère encore prendre un café, oui. thérèse a la grâce alanguie et les mots nonchalants mais son sourire a pourtant un air d'ataraxie, car s'il lui était offert de fauter alors elle ne pouvait refuser.
oui. qu'elle a dit et ça lui suffit. Elle a dit oui et c'est tout ce dont il a besoin, Earl, dont le sourire s'est encore un peu étendu quand il sent ce soupçon d'euphorie nigaude pulser dans ses veines comme s'il était revenu à ses quinze ans. On se calme pépère, ce n'est qu'un café. Mais c'est la première fois qu'il ose la faire déserter ses scènes de crime pour la promesse d'un cappuccino - ou macchiato ou espresso, il ne sait pas ce qu'elle préfère, se dit que ça fait partie des détails qu'il aimerait bien connaitre puis pense que c'est un peu glauque de se part de se poser pareilles questions sur une nana qui paraît bien plus jeune que lui. Il met ça sur le compte du manque de théine. Pauvre Thérèse ne le mérite pas, lui, l'acharné légiste qu'a les yeux qui pétillent dès qu'il aperçoit la frimousse toute douce de cette drôle de fille.
▬ C'est parce je sais que tu ADORES avoir une excuse pour me râler dessus. Et ni une, ni deux, le médecin légiste sans gêne l'agrippe par le bras et déjà l'entraine vers la porte, non sans se saisir au passage du fameux rouleau jaune "CRIME SCENE DO NOT CROSS". En voiture Simone ! C'est moi qui conduis et toi qui klaxonne ! Earl est un peu bête quand il est joyeux, ce n'est pas sa faute s'il a des mimiques d'imbécile heureux.
Les voilà sur le palier où lâchant la belle, il déroule le scotch et scelle l'entrée comme un sauvage avant de planquer ce qu'il reste de la bobine dans son grand manteau noir. Il en profite pour plonger ses mains dans ses poches et s'élancer dans les escaliers en colimaçon du vieil immeuble, sans un regard pour Thérèse mais sans oublier non plus de l'attendre en bas, dehors devant la devanture du petit café vide juste à côté. S'inclinant comme un grotesque gentleman de seconde - voir troisième classe, Earl lui ouvre la porte et l'invite à rentrer :
▬ Après toi mademoiselle. Et commande ce que tu veux c'est moi qui offre. Le truc avec Thérèse c'est qu'elle lui donne toujours envie de parler français même quand lui ne connait que l'anglais (et un tout petit peu de japonais). Elle ne ressemble pourtant pas aux parisiennes, belles et hautaines avec leurs talons et leurs figures un rien maquillées. Et ceci dit, nonobstant ses allures d'états-uniennes, il y a quelque chose de précieux en Thérèse. Quelque chose qui miroite et éclate comme les galeries de Versailles, une élégance ancienne et viciée qui résonne comme les rires dans le palais des Tuileries. Sans même devoir essayer, Thérèse a la prestance des princesses d'antan, le charisme des comtesses effrontées et espiègles des altesses d'Europe. Serait-elle un tout petit comme lui ? Entachée d'une première vie ? C'est l'occasion de le deviner...
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Mer 3 Jan 2018 - 17:08
de peaux lisses
- just another clever psycho -
sourire crispé toujours aimable, à en oublier que sa vie ne se résume plus aux oui madame oui mon père oui à tout car thérèse fut éduquée à ployer le genoux, tendre l'autre joue. bien sûr, les journées seraient longues si je n'avais personne sur qui râler. elle rit toujours en cachant de sa main ses canines aux éclats de lune, sainte thérèse aux délicatesses de vierge taillée dans son uniforme comme une statue de marbre ; l'albâtre de sa peau ne se troublant qu'aux aurores de joie sur ses pommettes. thérèse avait un sourire aux lueurs solaires, les yeux mi-clos dans sa repentance sage aux effluves de crépuscule d'apocalypse guidée paisiblement par son chevalier en fer blanc. tu sais que je n'ai pas une goutte de sang français. je suis née dans le delaware et ma famille est autrichienne. fräulein serait peut-être plus juste que mademoiselle. elle rigole car c'est absurde, thérèse le sait bien ; dans les mademoiselle qui courent ses lippes elle se sent majesté, plus que jamais, une marie à l'éclat d'aube dont la tête de tombera jamais, de ses mots couronnées comme s'ils étaient or. thérèse était mademoiselle, madame, ma reine, marie antoinette à la nuque dénuée de perles offerte à la guillotine du jugement dernier. (dans ses yeux brillait la tendresse d'une marie madeleine) un macchiato, s'il vous plait. monarque aux lèvres de satin, nourrie à l'oisiveté d'un versailles qu'elle n'a pas connu.
Autrichienne vraiment ? Qui l'eut crû. C'est pas comme s'il avait pu le deviner ou encore s'il avait fouiné sur son passé car même Earl Grey connait ses limites et n'est pas aussi toqué que ça - ce genre d'attentions, il ne les garde que pour ses proches comme Cosmo dont il a déjà épié les dossiers sur les fichiers du commissariat. Mais c'est fait avec amour donc ça va. L'Autriche donc. Comme la princesse Sissi alors dans son château viennois rafistolé, réaménagé, remodelé sans pitié et sans guère grâce par tout ses reines et ses rois, ses duchesses et ses comtes plus ou moins bavarois. Mais ça Earl ne le sait pas, de l'Autriche il ne connait que cette drôle de forme écrasée sur les cartes entre l'Allemagne et la Hongrie. Et de l'allemand il ne connait guère que quelques mots :
▬ Entschuldigung alors ! Un macchiato pour la demoiselle ! Et pour moi hum... Un thé vert bitte ! Ce ne sera que son neuvième de la journée tiens. Il voudrait rajouter un « schnell ! schnell ! » comme les nazis dans les films mais il sait que ça ne fera rire que lui et en plus le barista le regarde déjà d'un air circonspect pendant qu'il s'appuie sur le comptoir où il fait d'avance glisser un billet. Assieds-toi Thérèse, je t'amène ça !
Et il doit avoir l'air bien benêt et bien content, un peu trop d'ailleurs car puisqu'on a toujours envie d'emmerder les gens heureux le serveur ne peut s'empêcher de s'interposer :
▬ Mais non installez-vous les amoureux, je vous apporte ça ! C'est qu'il tendrait presque le bâton pour se faire battre ce sacré Earl Grey qui fait le beau devant l'impératrice rousse. C'est une gentille bête qui ne demande qu'à pavaner devant sa belle car d'ordinaire personne n'est aussi bon avec le légiste comme sainte Thérèse, louée soit-elle !
Earl rougit et c'est drôle à voir, la grande perche du royaume des morts, pâle comme un linge, du moins, jusqu'à ses pommettes qui sont devenues rouges et roses et oranges et colorées comme le bouquet qu'il a glissé entre ses bras toute à l'heure. Il ouvre la bouche avec l'intention de répliquer quelque chose de bien salé mais son cerveau le trahit et les quelques mots qui lui viennent à l'esprit ne ressemblent que de près ou de loin à un vague gkuhfijls rgiseli rfskuhdiljouh. Alors il ferme son clapet. Poisson rouge, blanc et noir, un peu penaud qui pose son cul sur une chaise tout en ronchonnant dans la barbe qu'il n'a pas - et heureusement d'ailleurs car ça lui donnerait un air encore plus déjanté qu'il ne l'est déjà :
▬ Les amoureux mais n'importe quoi ! Tu dois avoir genre... 10 ans de moins que moi ! Il fait le calcul dans sa tête, réalise que 27 moins 10 fait 17, que 17 c'est quasiment Spray et que si la demoiselle fait jeune elle n'a pourtant pas la bouille de bébé de la lycéenne. Enfin non plutôt 5. Plissant les yeux. 6 ? 4 ? On lui accordera l'originalité de la technique car ça ne se fait pas de demander directement l'âge d'une jeune femme. Il sait pas trop pourquoi d'ailleurs, mais il respecte car c'est sa soeur qui lui a dit. Et sa soeur a toujours raison. Toujours.
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Dim 4 Mar 2018 - 0:28
de peaux lisses
- just another clever psycho -
c'était drôle avec earl elle n'était plus sainte ni reine, libérée des couronnes de plomb et des chaines monarchiques elle était theresa ou thérèse au crépuscule d'adolescence -- les joues roussies et les cils déliés de mascaras ses lippes teintées de vif vermeil s'étiraient toujours pour dévoiler un rire sélénite : les mots d'earl avaient un air de dissonante arcadie
merci, très cher. précieuse elle aussi pouvait jouer la fausse politesse (la fausse élégance) quand sa pureté de nacre se fissurait un peu plus à chaque lever du jour.
thérèse ne riait plus mais elle souriait en demi-lune : les amoureux oh elle trouvait ça charmant en vérité, une juliette rubescente mal assortie à son roméo monochrome entaché du rouge mutin de ses absurdités. je trouve ça amusant, moi. solaire malice aux yeux d'airain (elle en oublierait d'être une dame) elle avait encore thérèse cette innocence un peu menteuse dégoulinant d'impudences enfiévrées elle se sentait brave.
des éphémérides dans les yeux elle se penche par-dessus la table et dans un murmure mutin lui dit : normalement c'est un secret, mais je t'aime bien alors je vais te dire. théâtrale car c'est ainsi que sont les sirènes j'ai dix-neuf ans.
Je t'aime bien ça sonne plutôt bien, ça met un peu de baume sur son coeur salé, comme trois étoiles de sucre dans son thé amer. Dommage que la suite lui paraisse bien faux car dix-neuf ans c’est effectivement trop peu et le médecin laisse échapper un rire nerveux pour cacher son désarroi.
▬ Mince 8 j’étais vraiment pas loin. 8 ans c’est même trop pour être une petite soeur. Une cousine à la rigueur.
Ça fait bizarre de se dire qu’elle avait trois ans lors du 11 septembre alors que lui en avait dix. Probablement qu’elle n’a même pas le souvenir de voir les tours tomber à la télé. 1999 wow c’est l’année de sortie de Star Wars épisode 1. Ça ne le rajeunit vraiment pas mais alors pas du tout. D’un coup il se sent mal de toutes les vacheries qu’il a pu sortir à une gamine de 19 putain d’ans quand lui à 19 était déjà aux soirées de médecine - même si plus en tant que bizut que participant certes.
▬ Puisque tu m’as confié un secret, à moi de t’en donner un. J’aime pas avoir de dettes. Il se penche vers Thérèse, une main devant la bouche, comme prêt à lui glisser la plus terrible des confidences : J’ai la phobie des avions !
C’est le barman qui les interrompt en déposant discrètement deux tasses brûlantes devant eux, non sans oublier de lancer un clin d’oeil vraiment appuyé au jeune homme qui ne se prive pas pour le foudroyer du regard. Non mais oh, ça va pas la tête car désormais toute pensée non platonique à l’égard de la demoiselle semble s’être volatilisée. Earl a des principes, Earl est noir et blanc, carré. C’est bien ou ce l’est pas. Avoir le béguin pour une minette de pas même vingt ans en l’occurence ce n’est pas très correct mais ça n’efface cependant pas son affection à ses égards, renforce peut-être même ce désir furtif de la protéger. Il pose un coude sur la table et sa tête dans sa main, s’assoupit un moment, la regardant sans vraiment la dévisager. Yeux dans le vague, âme dans le vide, reposé mais toujours aussi fatigué. Ça sort comme un coup de canon, soudainement et bruyamment :
▬ Thérèse tu sais que si tu as besoin de quoi que ce soit tu peux me demander.
Et c’est tellement vrai car Earl ne ment jamais, n’a jamais su le faire. Elle inconsciemment réveille en lui des instincts enfouis de chevalier, de gentleman ou de papa gâteau. Il voudrait lui dire de changer de métier ou de faire des études, de faire plus de fêtes ou peut-être moins, de voir des filles de son âge et de mettre plus de rouge à lèvres plutôt que de blanchir les carpettes maculées de sang et de s’abimer les ongles avec la javel et les ombres des macchabés. Mais en vrai Earl ne la connait pas, ne la côtoie que sur les scènes de crime entre la voiture de police et le corbillard et ça l’attriste un peu car quelque part il aimerait tellement la préserver. Mais comment le faire, comment lui dire sans paraître gênant ou grossier ? Il ne peut pas. Alors il ne le fait pas, se tait à présent, chevalier de pacotille et sirote son thé en contemplant l’horloge posée sur le mur d’en face. Tick tock. L’aiguille semble tourner trop vite entre lui et elle. Le temps lui a joué un sacré tour.