La cervelle encrassée par sa consommation excessive de cannabis, Augustus avait traité une anomalie ponctuelle avec une diligence désaffectée où la virulence n’eut aucune place emprisonnée dans des synapses engourdies. Il fut sur un perchoir : Il put apprécier la factualité en de petites nuances, trop haut pour voir les couleurs criardes et entendre les sons distordus qui l’auraient écorché.
Mais quand le jour tomba, la torpeur cessa d’asphyxier tout ce qu’il y avait de plus nerveux en lui et la bouffée d’air corrosive d’une réalisation soudaine lui laissa un effluve amer en gorge. Il ne sut rien faire de mieux que se lever et prendre entre ses lèvres une cigarette. Le bout flamba et excita une saveur acrimonieuse qui se rua dans sa trachée. Augustus avait pensé qu’avoir un goût concret de dégueulasse en gorge effacerait l’autre, le goût impalpable. Enfin quelque chose du genre. Il se trompa et dans un excès de zèle tira trop puis toussa brusquement et jeta sa cigarette dans le vide de sa fenêtre ouverte.
Il fixa la cuisine, la table, la nappe, le plat de lasagnes fumant, son assiette à lui, à moitié entamée puis l’autre assiette – en face. Augustus décida alors de se rassoir et fit quelque pas pour regagner sa chaise branlante sur un pied.
Lorsqu’il y fut installé avec nonchalance, les épaules détendus et les jambes écartées, il se décida enfin à regarder Thérésa, droit dans les yeux.
- Elles sont vachement bonnes.
Il la regarda droit dans les yeux et y chercha quelque chose d’improbable. Des cons de poètes appelaient ça l’âme, le vrai, l’indéniable. Augustus n’y trouva rien de métaphysique et quelque part cela le rassura.
Thérésa, bien que sous les grâces d’un jour nouveau, restait Thérésa malgré un au revoir qui s’était étendu sur plusieurs années. Mais Augustus avait cette fois l’horrible mais inébranlable certitude qu’elle n’était pas allumée comme il l’avait autrefois présagé. Et l’augure sinistre d’une terrible coïncidence n’était pas le rejeton d’un fabuleux hasard mais vraisemblablement l’engeance du destin -lui-même.
Ses pouces remuèrent, s’agitèrent et se rencontrèrent.
- Qu’est- ce que ça te fait à toi… Tu te souviens de quoi ?
Il continua de l’observer, toujours, avec le même air inquisiteur. A chaque seconde passant, détailler, figer, dépeindre ses traits et se laisser submerger par leurs dessins aux crayons fins, à la recherche d’une aspérité où il aurait pu s’accrocher. Quelles substances ont animé la matière de ses rêves ? Se sont-ils déversés en rivières de douceurs où elle aussi, a-t-elle vu les flots nauséeux d’une époque sombre se fracturant au nom d’un inconnu ?
Augustus emporté par la fièvre de ses réflexions et la poussière des souvenirs aux tissus incertains, eut un geste d’une spontanéité fatalement équivoque. Les lignes noires et le vide qu’il y avait entre-elles portaient le sceau d’une fatalité à laquelle ils semblaient être obligés. Augustus, nerveux avait passé le ventre de sa main sur sa nuque dénudée, à l’endroit où le couperet d’un autre temps était tombé.
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Mar 21 Nov 2017 - 10:56
croix v bâton
bien droite assise sur sa chaise sirène avait tout d'une majesté, de ses yeux parés de mascara suivant son roi seigneur en ce domaine qui était désormais le leur depuis qu'en fantôme du passé elle s'était présentée à sa porte. sirène plutôt que sainte thérèse elle avait jeté au feu les icônes et enflammé les dogmes, troqué les mocassins vernis pour des escarpins et enfin elle se croyait grande dame ; les lèvres teintées au crépuscule à en faire pâlir la vierge marie qui dans son auréole d'or coulait encore autour de son cou. ouais. quand elle se perdait dans ses yeux il n'y avait pas un écho de ce louis éperdu, celui que mille fois elle avait contemplé à travers ses prunelles à elle, celles d'antoinette.
de tout. de marie, de louis, de versailles et de la conciergerie, j'ai lu tellement de livres d'histoire que je ne différencie plus les vrais souvenirs des choses que j'ai lues. car les mythes n'existaient que pour être détruits et sirène n'existait que pour brûler vos histoires, arracher de ses ongles vernis les faux sourires sur vos peintures et rayer le marbre de vos statues ; trop de prières avaient terni ses lèvres et écorché son être il était temps de vivre comme marie en reine baignée d'or et de diamants majesté de tous vos excès. et toi, tu te souviens de quoi, maintenant ?
Il y avait des heures tardives où la nuit, de son pinceau torpide, obscurcissait la réalité et faisait basculer le monde dans un trou noir.
L'inquiétude corrompait son esprit ; Elle enflait dans un coin de son crâne comme un oèdeme et ce point imaginaire devenait le nid d'un essaim de tourments qui infestaient son calme.
Dans ces conditions Augustus ne parvenait plus à raisonner et c'était le comble : De vivre une vie dont il n'était pas l'ultime décideur. Alors, un bref instant, la vision de Thérésa fut insupportable quand sa réponse emblasonna tout cet invisible qui tenait leurs vies au bout de ses ficelles. Extirpé de la réserve et du détachement desquels il avait fait ses chevaux de guerre, Augustus songea à fuir. Mais où ? Le sommeil ne promettait qu'un asile temporaire - Dès son réveil il reviendrait à ses terres maudites. Il fallait faire face. Il n'avait pas le choix.
Augustus opta pour un brève interlude afin d'avoir au moins le temps d'examiner son désordre intérieur. Il se leva et se rapprocha du réfrigérateur, l'ouvrit puis demanda :
- Sa majesté elle veut un dessert ?
Un pied-de-nez indifférent, comme le footballeur qui effectue un contrôle plat-du-pied pour se rassurer en revenant sur ses bases, se cramponner à sa désinvolture pour une illusion de contrôle.
Les tripes soudainement nouées par un malaise inexplicable, Augustus fut traversé d'un haut-le-coeur. Un haut-le-coeur silencieux qui remonta de son ventre à sa gorge sans brusquer quoique ce soit sur son passage. La sensation étrangère lui fit se tordre ses lèvres et il se rappella maintenant son nom : L'angoisse. Il ne l'avait jamais supporté - Ni auparavant, ni maintenant.
Cette faiblesse soudaine lui arracha un impensable aveu. Il se retourna.
- De trop de trucs. Je flippe.
Il était grand le roi, dans le halo jaunatre d'une ampoule gresillante, le visage auréolé d'une grimace anxieuse.
- J'ai l'impression que ma vie ne m'appartient pas.
Qu'elle ne lui avait jamais appartenu.
Son ancienne existence qu'il avait promise à la France et cette nouvelle que dévorait la précédente, lui mirent toutes les pesanteurs du monde sur les épaules. Sous ce fardeau il se recroquevilla.
Il fixa ce repère dans l'espace, ce point précis, là où l'univers se désaxait, ou était-ce son nouveau centre de gravité, qui, justement l'empêchait de s'effondrer ? Les yeux de Théresa paraissaient d'un calme parfait. Il y chercha la tempête, l'ouragan et la catastrophe des imprévus. Il y chercha son angoisse à lui, terrifié par le surnaturel, terrifié surtout par les rêves damnés de son autre lui, terrifié par une existence double qu'il avait toujours cru unique. Il ne les trouva pas.
Et à ce moment parfait de perdition, dans le gel absolu de son incertitude, il fut pris d'un sursaut d'orgeuil. Ses traits décidèrent une expression placide. Elle rendit à sa voix une tessiture grave et assurée.
- Je me souviens surtout des dernières années. De la prison. De la mort.
Augustus regarda Thérésa avec intensité.
- De toi.
D'elle avait-t-il voulu dire mais ne l'avait pas fait.
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Mer 3 Jan 2018 - 17:11
croix v bâton
quand la nuit mourait dans ses iridescences les souvenirs s'embrasaient, mais dans ses iris à elle brûlait encore l'aurore d'une malice serpentine car elle régnait sur ce monde effondré, perdu dans la mer des siècles : majesté de cendres et d'empires déjà morts non, merci. elle était persephone dans son royaume d'or rouillé tirant de ses mains glaciales les ficelles d'une danse macabre depuis des siècles achevée
son sourire a un arrière-goût de triomphe et l'or coule de ses cils
je pense que tu te prends trop la tête. il est mort. tu es vivant. thérèse joue la grande dame aux lippes fleuries de certitudes pourtant sa nuque est encore froide du fer de la guillotine elle peut se faire reine face à lui quand son coeur est noyé des mêmes effrois sirène à la vie déjà gâtée des prières, souillée d'eau bénite les mains encore jointes sous l'oeil du père comme celui du bourreau d'elle. car nous ne serons jamais eux. dans ses iris meurent les reflets de son attendrissement de sainte, partageant sa peine de la nuit constellée qui dégueule pendant leur fuite avortée au murs froids de la conciergerie où se moururent ses amours comme tant de météores la peau de thérèse frissonnait encore des meurtrissures érubescentes c'est pas comme si tu avais l'étoffe d'un roi de toute façon, non ? elle rigole mais son coeur n'est plus là
Gus avait eu une dernière bravade avant la chute figurative.
Toute l’assurance et la contenance qu’il avait rassemblées puis durement transformées en une seule phrase, le quittèrent une fois qu’il se tut. Elles s’évaporèrent aussi soudainement qu’elles étaient apparues et ne laissèrent derrière elles qu’un précipice vertigineux. Le sol se fissura à l’endroit où il se tenait.
Il perdit les rênes de son esprit, juste comme ça. Jamais ne s’était-il alors, de toute son existence, senti aussi singulier, aussi perturbé qu’en ce moment. Le fait d’atteindre un tel état de perdition sans être sous l’emprise de quoique ce soit l’effraya d’avantage et le monde sembla alors n’exister qu’en son propre corps. La voix de Théresa fut noyée par la cadence infernale de son cœur qui se fracassait contre sa cage thoracique. Jamais il n’avait battu aussi fort, il en était persuadé.
Gus dont les nerfs avaient toujours été habitué à la plus grande tranquillité, fut forcé de constater sa vulnérabilité et comme un aveu de faiblesse, s’écroula sur la chaise la plus proche. Se maintenir droit fut d’une étrange facilité tant toutes les fibres de son corps étaient raides. Il inspira longuement tout ce dont il avait besoin d’oxygène pour ne pas bafouiller et avoua ses craintes comme pour vomir son angoisse :
- Je ne me prends pas la tête, justement. C’est l’inverse !
Il cligna plusieurs fois des yeux, comme pour sortir de sa tête et revenir au monde terrestre dont il ne sentait plus la pesanteur. Mais l’environnement lui parut étranger, comme observé au travers d’un filtre différent. La présence de Théresa d’ailleurs, si inhabituel, si alien en ce lieu si familier le perturba grandement. A présent, à chaque seconde Gus trouvait une nouvelle chose à obscurcir et enlaidir. L’esprit écartelé par l’avènement de sa plus grande phobie avait été la porte ouverte à toutes sortes de peur qui n’avaient pas de raisons d’être. Elles pullulaient comme un essaim noir désormais qui enfantait une violente cohorte d’impressions physiques désagréables ; Sueurs froides, sifflements, palpitations, nausées C’était la peur dans son sens étymologique. Il passa une main sur son front en s’attendant à découvrir une surface brulante mais ne trouva qu’un endroit tiède.
- C’est ça qui me prend la tête !
Devant Thérésa, Gus s’était toujours efforcé de paraître d’une inviolable assurance. A présent il n’était que désarticulé, désarçonné, dépouillé de tout contrôle. En plus il s’en fichait parce que tout sauf sa propre peur lui paraissait d’une horrible insignifiance.
- J’ai juste l’impression d’être taré…
Transmuter sa peur à l’oral et la jeter au visage de Thérésa lui fit retrouver un peu de sa vaillance et Gus, mécaniquement, inspira avec lenteur. Il joignit ses mains tremblantes, les entremêla avec force comme pour se remobiliser. Son impuissance injecta à sa bouche un juron.
- Putain !
Il voulut redresser ses yeux vers Théresa mais ils lui parurent d’une insupportable lourdeur alors il les garda contre la table. Il se contenta de l’imaginer ; Droite et digne comme la Reine qu’elle avait été mais qu’elle n’était plus. Lorsqu’il songea à ses yeux il se demanda quel regard ils avaient pour lui ; De la pitié ? Du dégoût ? De la condescendance ? Gus avait du plomb dans le sien. Il s’interrogea, voulut savoir si les siens à elle avaient frémis d’horreur au début où s’ils n’avaient pas bronché ; Droits et dignes comme toujours.