histoire
Earl Grey c'est cette grande chose que tu trouves dans son bureau à 9h, 11h, 1h, 2h, 3h du matin, ce type à qui il ne faut surtout pas adresser la parole avant qu'il ait eu son premier thé de la journée, qui jure comme un charretier qui ne rentre chez lui que pour se changer et se doucher, qu'il faut forcer à prendre ses jours de congé, qui a même pas trente ans et déjà des cheveux blancs.
Earl Grey c'est ce cinglé qui vit de théine et de son boulot, c'est un génie bac+9 en médecine qui dort en moyenne 3h par nuit et s'étonne d'avoir constamment mal à la tête. Il vit à mille à l'heure mais ne comprend pas pourquoi il finit dans la chaussée. Il ne porte quasiment que du noir et du blanc car il manque désespérément de temps pour apprendre à marier les couleurs.
Earl Grey c'est le bizut favori des policiers, celui qui part au quart de tour, répond à toutes les provocations et prétend décéder lorsque la bouilloire est cassée. Au commissariat on se moque de lui, de ses manies, de ses cernes démesurées, de sa lubie avec les plumes, de son teint délavé mais son nom laisse un mauvais goût en bouche car Earl Grey est capable de tout.
Earl Grey on ne sait pas s'il adore ou s'il déteste son monde, il s'enferme dans son bureau la journée, n'en sort que pour faire son thé, râle constamment à la moindre contrariété, est persuadé qu'il finira enfermé dans un asile psychiatrique, tantôt fuit, tantôt chasse les gens.
Earl Grey est traqueur de poussière, de sang, de bave, de griffes, de cheveux, d'empreintes, de peau, d'ongles, de plaies, de griffes, de cils, de poils, de poudre, de terre, d'insectes, de doigts, de désespoir, de larmes et de mort car il est toujours le premier arrivé et le dernier sorti des scènes de crime. Il ne laisse jamais rien lui échapper, dévore goulûment indices et relevés ADN comme s'il voulait oublier.
Earl Grey trouve son salut dans le silence des macchabées, les néons froids de la morgue, la propreté de son bureau. Paradoxalement il est toujours suspect quand un meurtre sinistre apparait mais personne n'ose lui avouer.
Earl Grey mettrait le monde à feu et à sang mais manque de kérosène et d'hémoglobine. Que l'on parle de meurtres en série ou d'arnaques à l'assurance-vie, il rêve de mettre la vallée entière derrière les barreaux à défaut de pouvoir la mettre à genou.
Earl Grey exècre la mémoire des gens, y finit toujours séquestré, y absorbe leurs réminiscences comme une éponge desséchée, se gorge des chagrins et des supplications et vomit leurs souvenirs en des lambeaux de jurons désarticulés. Il craint d'un jour s'étouffer à mordre à pleines dents les vies des autres, s'étrangle un peu plus à chaque fois que son pouvoir réapparait. Son don est malédiction.
Earl Grey ne maîtrise rien, inflige aux autres la nausée quand il est triste, des grattements quand il est énervé, des chatouilles quand il est joyeux. Il est celui qui racle, râpe, décape, dérange, démange, ne vous met jamais totalement à l'aise, ne laisse jamais indifférent. 

Earl Grey voudrait finir noyé dans ses dossiers, étranglé dans les procédures judiciaires, écartelé lors des auditions à la cour, lacéré entre les mains de sa tendre aimée Justice, tué dans ses excès, sauvé de ses vices et surtout lavé de ses prédispositions à son don de sensations, blanchi et vernis de sa vie première.