histoire
Peu après ma réincarnation (aka 16 ans plus tard, mais j'aime mieux faire preuve de positivisme), je suis tombé sur les articles qui constituent ma boîte à souvenirs - sauf ma lettre, que j’avais écrite moi-même. Je vous passerai le détail de mes premiers instants : je n'aime pas montrer des photos de moi bébé, nu - un passe-temps adoré des mamans, et croyez-moi, je n’en suis pas une (et de toute façon, la mienne n’était pas un très bon exemple) - alors je m’abstiendrai de le faire. Toujours est-il que je suis revenu à la vie, et peu importe la façon dont vous appelez ça, ces adjectifs convergeaient vers une même idée : ça craint. Ma vie ressemblait à une courte tragédie de quelques actes à la tristesse évidente ainsi qu’à quelques instants de bonheur - des sentiments qui cédaient leur place à un ultime soulagement lorsque mon âme atteignait le ciel auprès du Créateur qui m’avait pardonné, en accord avec cette lettre qui faisait office de traité de paix (en espérant qu’il ne l’ait pas ouvert avant ma Mort). Mais cette seconde tragédie que les gens bornent à appeler réincarnation (trop contents, j’imagine, d’avoir enfin une chance d’utiliser ce mot dans un contexte correct) n’était pas réjouissante pour moi.
Cette fois, pourtant, mes parents étaient tout ce qu'il me fallait : deux psychologiques pour faire de moi un modèle de santé mentale, un plan qui aurait probablement marché sans l'absence de cette entité antérieure qu'était mon ancienne vie. J’aimerais faire part du grand nombre de sentiments que j’éprouvais à l’égard de cette nouvelle chance mais elle s’est contentée de grossièrement m’ôter ma dernière croyance : le fait que, à défaut de trouver mes réponses dans la mort, j’en tirerai le soulagement de ne plus avoir à vivre.
Miles Singleton, 19 ans à tout jamais, décédé dans un accident de voiture au volant de la voiture de sa mère que je conduisais en excès de vitesse. Mon visage ne serait pas un problème ; mon nom était l’unique chose connue de moi, et cette réputation ne me suivrait pas au regard d’une nouvelle identité. Je serai Ezra. Un gamin sans événement marquant dans sa vie, devenu populaire au lycée, passionné de sport et basketball, travaillant comme serveur pour se payer ses loisirs. Ni plus, ni moins. Et bien que j’éprouve du dégoût à l’égard des idiots au sommet de notre hiérarchie de popularité, je rentrerai dans le moule, parce que je le devais. Si l’honnêteté n'avait pas marché dans cette première vie, qui sait, peut-être que l’hypocrisie en serait capable dans cette nouvelle.
boîte à souvenirs
Nom ♦ Singleton.
Prénom ♦ Miles.
Avatar ♦ Portgas D. Ace.
Nationalité ♦ Américain.
Occupation ♦ Étudiant.
Il est de mon devoir de vous retransmettre quelle a été la vie de ce garçon qui semble vous intéresser ou plutôt, quels sont été les éléments majeurs qui ont constitué à influencer sur son existence - car ce qui a principalement guidé la vie de Miles, durant le peu d’années qu’il aura vécu, c’était son imprévisible esprit troublé par une évidente dépression. De toute évidence, lorsqu’il est mort au volant de la voiture de sa mère au tournant d’une large avenue, ce n’est pas la perspective d’un avenir radieux qui l’avait poussé à passer au-delà des cent kilomètres/heure. Pour Miles, la précipitation était une forme d’évasion : lorsqu’il n’avait pas le moral (du moins, il semblait - la communication n’était pas la plus grande qualité de sa famille.) il se tournait vers l’exercice physique. À raison de six fois par semaine, Miles courrait plusieurs kilomètres jusqu’à épuisement, au terme de quoi il vomissait. Beaucoup de gens interprétaient cet acte comme un châtiment qu’il s’infligeait, mais il m’apparaît davantage comme un rappel de sa propre existence. Il va de soi que s’il avait besoin de tant de choses, c’est que son problème remontait de façon si lointaine dans sa vie qu’il ne pouvait espérer le vaincre seul ; mais pour ce garçon, il était définitivement hors de question de partager ses problèmes et d’inquiéter ses proches. Au même titre, il refusait d’être diagnostiqué comme un dépressif - prétextant qu’il ne voulait pas être associé à ces adolescents idiots par qui le problème est souvent pris à la légère. Néanmoins, il ne paraît pas imprudent d’affirmer que les violences commises par son père sur Miles (qui commencèrent alors qu’il n’avait que 5 ans) laissèrent de nombreuses séquelles sur le plan psychologique.
— Extrait (p. 8) de Portait de Miles Singleton, par A. Ward, 2005.
Au regard de nombre de ses camarades de classe, Miles Singleton n’était pas un modèle. Au-delà de ce que la morale impose - à savoir énumérer exclusivement les qualités du disparu -, il est clair que ce garçon n’emporterait pas tant de vertus que toutes celles auxquelles il a été associé après sa mort. Selon une source particulièrement fiable*, M. Singleton ne faisait pas seulement preuve d’une assiduité discutable mais il nuisait aussi à celle des autres élèves. Des rares jours où il prenait la peine d’aller en cours, il n’aura pas simplement coûté à l’école bon nombre de matériel mais aussi les plus ignobles rumeurs la concernant. Ses tendances belliqueuses étaient à l’origine des difficultés de certains des élèves de l’établissement Benjamin Franklin, c’est pourquoi il convient de se demander […]
— Article (p. 14) de D. Baldini pour le Quotidien, journal local.
* La source utilisée par ce cher journaliste est en réalité un… autre journal, non officiel : il s’agit d’un site internet où les élèves de l’école de Miles faisaient tourner les rumeurs. On ignore qui le tenait (un élève, en tout cas), mais l’administration ne connaissait pas son existence.Lorsque Tony Singleton, sportif retraité et père biologique de Miles a été interrogé, il n’a eu cesse de nier les accusations de violence à son encontre. Il est clair que, pour la police locale, l’insuffisance des preuves pour une condamnation dépendait de la spectaculaire fortune de l’accusé - et Emilia, la sœur ainée de Miles a pourtant essayé de faire avancer les choses en y ajoutant son propre témoignage. Force était d’admettre qu’une affaire aussi vieille (le dernier acte remontant, selon Mlle Singleton, à quelques jours avant le divorce de Tony Singleton et son ex-conjointe, alors que Miles n’avait que 12 ans) avait peu de choses de trouver justice. […] Au-delà des cicatrices qu’un si tragique passé a pu laisser en Miles, ce dernier nous a toujours été décrit, par ses amis, comme quelqu’un d’aimable et altruiste. Lindsey, l’une de ses amies, l’a qualifié de « gentleman », du fait « qu’il avait des manières uniques, qui se font rares parmi les garçons de nos jours. » Il serait absurde de nier que Miles Singleton avait des défauts, comme c’est le cas pour chacun d’entre nous, mais il me paraît important de rappeler ce qui semble avoir échappé à la majorité de ses ex-camarades, si l’on s’en réfère à sa réputation : il était une personne digne de respect.
— Extrait (p. 29) de Portait de Miles Singleton, par A. Ward, 2005.
Cher Dieu,
je tiens à m’adresser à toi avant toute chose, parce qu’il va de soi que personne, si omniscient soit-il, ne voudrait lire entièrement une lettre intitulée « Cher monde ». C’est donc par toi que je commence, puisque ma demande sera très bientôt prioritaire sur tout le reste. Tu n’as pas besoin de le nier, je sais que tu me détestes : tu n’étais pas obligé de me donner la vie, mais tu as choisi de m’en donner une pourrie. Tu m’as quand même créé (et je t’en suis reconnaissant) c’est pourquoi je me permets de demander le paradis. Je sais que je ne figurerai pas dans la file prioritaire comme Jésus ou Janis Joplin (une telle musique doit être évidemment considéré comme une bonne action) mais je pense n’avoir pas démérité, au regard de tout ce que j’ai pu faire (de bien) dans ma vie. J’ai bon espoir de penser que cette lettre te parviendra, dans la mesure où un au-delà existe, auquel cas j’espère pouvoir y croiser James Dean ou Allen Ginsberg (si possible).
Avant de continuer, je devrais sans doute m’excuser auprès de M. Lee, ce formidable prof de littérature qui n’aura pas su me faire retenir la mise en forme d’une lettre (Dois-je à nouveau mettre un intitulé si le destinataire change au milieu ? J’écrirai bien deux lettres, mais je n’ai qu’une feuille et pas mal de choses à dire.) mais à qui je ne ferai pas porter le blâme de mon incompétence.
Cher monde,
même si elle en a la forme, ce n’est pas une lettre de suicidé. Ma mère a toujours été contrarié lorsque je lui faisais part de mes vœux de mort (ce que je peux comprendre) c’est pourquoi j’ai décidé de tout concilier ici. Je n’ai pas peur de laisser une telle lettre dans ma chambre puisque personne n’y rentre - et j’imagine qu’on y fouillera après ma mort (Emilia, s’il te plaît, jette TOUT le contenu du carton rose sous mon lit - c’est un loisir masculin universel, mais c’est quand même embarrassant.) donc il me semble pertinent de tout écrire. Je refuse qu’une tombe médiocre soit ma dernière demeure et l’incinération me semble préférable (dans l’idéal, j’aimerais que mon corps soit jeté dans un trou noir, mais je suis à peu près certain que personne ne peut se permettre de telles dépenses) puisque c’est de cette façon qu’ont fini de nombreux rois, et plus important, les Jedi à leur enterrement.
Comme de nombreuses personnes, j’aimerais rester dans les mémoires pour toujours, mais je m’aperçois que je m’en ficherai une fois mort et plus important, que Dieu lui-même s’en fiche. Je ne peux pas lui en vouloir, je me suis probablement montré bien plus insupportable qu’il prévoyait que je le sois à la base, mais j’imagine que s’il me ramène près de lui, c’est qu’il a fini par m’apprécier. C’est peut-être pour ça que la plupart des connards sont chanceux dans la vie : on les laisse pourrir un peu plus longtemps dans leur vie naze. Ces réflexions m’apportent la conviction profonde que je pars vers un monde moins pourri que le nôtre alors j’imagine que je suis en paix.
Ta détestée création (à Dieu),
Ton dévoué emmerdeur (au monde),
Miles Singleton