Un jour, ton chemin a croisé celui de Hai. Et tu ne pouvais pas le savoir alors, mais Hai allait représenter un mystère insondable à tes yeux.
Le premier jour, il t'a dit qu'il aimait la musique russe. Le lendemain, il t'a regardé de travers quand tu lui as répété les mêmes mots. Ses yeux étaient si innocents, comme s'il était vraiment étonné de ce que tu disais. Pourtant, tu l'as entendu prononcer ces mots. Enfin. Tu le crois.
Le troisième jour, tu as remarqué que Hai ne regardait jamais les autres dans les yeux. Surtout quand il te parle. Il fixe toujours ton front ou ton nez.
Hai a mauvais caractère. Il s'énerve facilement quand tu dis quelque chose que tu le contredis, ou lorsqu'un imbécile ne fait pas les choses assez vite. Il manque de tolérance. Hai est misogyne, et raciste, et tu aurais juré qu'il était homophobe, mais quand tu l'as sous-entendu, il t'a regardé de travers. Avec tant de violence sur son visage que tu t'es demandé ce que tu avais pu louper.
Hai ne parle jamais vraiment de lui. Il dit beaucoup de choses, mais la majorité n'est pas vraie. Quant au reste, tu ne sais pas vraiment. En revanche, toi, tu as beaucoup parlé de toi. Il donne envie aux autres de donner des petits bouts d'eux-mêmes, comme pour apaiser cette colère que l'on devine sous tendre en lui. Tu t'es déjà demandé s'il était heureux, Hai. Il a toujours l'air d'en vouloir au monde.
Il te semble que Hai est esseulé. Il est souvent accompagné, mais il saute sur la moindre occasion pour fuir les autres. Tu l'as remarqué. Même toi, il te fuit par moments. Par d'autres, il vient vers toi, et son ton est si doucereux que tu te doutes qu'il va te demander quelque chose. Tu te demandes parfois pourquoi est-ce que tu acceptes malgré tout.
Peut-être cherches-tu cette reconnaissance qu'il semble n'accorder à personne. Hai est d'une classe sociale aisée, et cela se sent. Malgré la brutalité de ses gestes, malgré la rudesse de ses mots, tu lui trouves une forme d'élégance, comme s'il ne perdait jamais sa dignité. Il faut dire que, lorsque la situation l'exige, il sait se montrer impeccable. Il connaît les bonnes manières. Il s'incline devant les gens avec tant de grâce que le mouvement t'hypnotise. Mais il y a toujours ces mèches de cheveux noirs qui lui tombent devant les yeux. Tu te demandes ce qu'on pourrait y voir, quelles émotions tu verrais s'y refléter.
Hai est un roi sans couronne. L'expression a fini par s'imposer dans ton esprit. Tu sens que Hai se cherche un empire. Il ne veut pas aimer les autres, il veut les dominer. Il aime donner des ordres. Toi aussi, tu en es victime. Il te donne rendez-vous à telle heure, et tu y vas. Tu attends pendant des heures, dans le froid et le vent, parce que Hai t'a dit d'attendre. Mais Hai n'est jamais venu. Hai ne se soucie pas vraiment de toi. Hai ne se soucie déjà pas vraiment de lui-même.
Il n'y a qu'une seule chose que Hai aime vraiment, c'est le pouvoir. L'ambition le dévore, et pour mettre la main sur ce qu'il souhaite, il est prêt à tout. Absolument tout. Peut-être même à te tuer. Pourtant ses désirs sont si mêlés qu'il n'est pas tout à fait capable de les nommer concrètement. Il veut attirer l'attention de ses parents. Il veut que tu le regardes avec admiration. Il veut encore, encore plus d'argent. (Hai est radin, Hai a peur de la misère. Il a vu des choses, en Chine.) Mais ça, tu ne le vois pas vraiment.
Tu as mis du temps avant de découvrir que pendant son adolescence, il était délinquant. Enfin, pas la véritable délinquance, non, plutôt ces regroupements de la jeunesse dorée qui veut se donner des frissons. Il était tout de même assez violent, tu n'en doutes pas une seule seconde. Quand il s'énerve, il frappe assez facilement le mur. Parfois, il y a un visage entre le mur et lui. Il paraît qu'il était le chef de son gang. Mais tu n'as aucune idée de ce qui l'a amené à arrêter, Hai ne vit pas dans le passé, ce n'est pas lui qui t'en a parlé, mais son frère. Ils se ressemblent beaucoup, ces deux-là, d'ailleurs - même si Hai est celui qui te fascine le plus.
Hai est intelligent, tu en es persuadé - mais il fait tout pour ne pas le montrer. Il bâcle sans vergogne les tâches qui lui sont assignées, au travail - et personne ne dit rien, parce que le patron, c'est la famille de Kang, et personne ne peut le virer. Il ne donne jamais son avis dans les débats, ne s'embarque jamais dans les polémiques. Il parle toujours un langage simple, tellement simple à comprendre que, si tu n'y avais pas fait attention, tu n'aurais jamais remarqué qu'il est toujours à double sens. Et il ne reconnaît jamais ses erreurs. Cela rend probablement insupportable.
Cependant, ce qui le rend vraiment fascinant, Hai, c'est ce contraste dont il fait preuve.
Comme il peut se montrer dur, mais avoir le visage doux parfois.
Comme il est cruel et violent, mais par moments fait preuve d'une véritable gentillesse.
Comme il a l'air de tout maîtriser, mais laisse parfois sa jeunesse éclater au grand jour.
Hai, c'est quand même, avant tout, un gamin mal élevé, un gamin sans véritable famille, qui s'est construit tout seul.
Ses yeux, des fois, te paraissent si naïfs.

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C'est une forme indistincte, qui court dans la nuit.
Un petit morceau d'homme qui brûle le pavé, sans jamais un regard en arrière.
Tout est noir sur sa personne ; ses yeux sombres sont remplis d'orage. Sous ses mèches d'ébène, son teint laiteux éclaire la nuit d'un halo lunaire.
Il n'y a guère que quelques perles écarlates sur ses mains gantées, et une longue trace sur la pommette.
La ville est si lointaine, et pourtant la lueur des néons et le scintillement des lampadaires éclaire la ligne de l'horizon.
L'homme ne fait pas que fuir une ville et sa violence. Il s'échappe d'un passé douloureux. Il veut quitter ce pays, quitter sa famille. Il voudrait tout recommencer. Mais cela lui est peut-être impossible. Il n'est jamais qu'une ombre.
C'est une forme indistincte, qui court dans la nuit.
Et des larmes roulent le long de ses jours.