Cadavres de verres, de ces bouteilles de bières vides, usées, marquées de fissures à force d'avoir été empoignées, puis balancées. Réduites à l'état de carcasses limpides, écrasées sous les bottes de cuir de l'intrépide. Ruelle désertée, une impasse noueuse dans les entrailles et artères d'une ville aux légendes mystiques. Vide et crépusculaire. Si ce n'était qu'à l'exception de quelques poivrots aux yeux si rouges, injectés de sang, qu'ils ne parvenaient même plus à mettre un pied l'un devant l'autre, sans s'arrêter quelques secondes - le temps de s'appuyer contre un mur et de renifler bruyamment - puis de reprendre aussitôt leur chemin d'une démarche hasardeuse. Les mains dans les poches d'un jean défraîchi, aux coutures déchirées au niveau de ses genoux et ses orbes d'ocres, brillantes d'éclats farouches, à l'ombre d'une capuche retombant sur ses traits balafrés.

Seul un néon clignotant, aux pigments éclatant jusqu'à ses prunelles acérées, venait à parer l'obscurité nébuleuse de la nuit. Comme un rempart à travers la pénombre, pareille à une lueur naissante dans le manteau ténébreux d'une forêt de pins. L'enseigne d'un club oublié, dont les lourdes portes tremblantes, parvenait à peine à filtrer des riffs enragés de guitares électriques. Et d'une voix si éraillée, que quelques cibiches rougeoyantes avait fait se rendre rauque. Des gémissements de douleurs étouffés sous des voix criant leurs encouragements destructeurs. Du son des peaux martelées, balafrées, sous la rage vivifiante d'une foule en délire. L'adrénaline grimpant en une nuée exaltante jusqu'à ses veines, alors qu'il franchissait l'antre de malheur. Repaire de ses péchés et damnations.

Ce soir là, en se fondant dans la foule énergique, tapant des pieds et des mains sur un rythme endiablé, il aurait pu être n'importe qui. Une tête entaillée, frayant son chemin dans cette marrée de corps et de visages. Il aurait pu prendre l'apparence de l'un de ces visages sans nom, n'être qu'une pâle copie de la rage qui habitait ses veines. Une femme. Un homme. Un animal. Des cicatrices. Une chair de plus exposée sous leurs pupilles inquisitrices, comme s'ils avaient le moyen d'apercevoir les méandres de son âme détruite. Ses faiblesses, sa vulnérabilité, aux yeux de ses étrangers. Non. Il n'y aurait pas de ça, ce soir. Il serait Skar. L'homme devant l'âme. L'enragé face à sa fureur.

Aux abords de l'arène de fortune, dont les cages et barrières n'étaient que des dizaines de visages aux masques de sourire acharné, un homme le héla en reconnaissant ses traits et cette balafre longeant la commissure de ses lèvres jusqu'à sa joue gauche. On lui avait donné le sourire du joker sans même qu'il ne s'en sois rendu compte. Vivant un cauchemar éveillé depuis qu'il était tombé dans les affres de cette violence inouïe. Au cœur des tourments d'un homme sans véritable identité. Juste une âme, guidée par la soif de vaincre et d'une paire de gants trônant sur ses mains en signe de sa fierté compétitrice. Sa couronne d'épines, dont le cuir s'enroulait autour de ses doigts, jusqu'à en recouvrir brûlures et estafilades imprudentes.

Prêt pour sa nouvelle bataille. À tenter de gagner une guerre sur laquelle il n'aurait jamais le dessus. Avec ces mèches solaires, imbibées de sueur, retombant au devant de ses orbes d'ocres incandescentes. Pieds et torse nu, sous l’œil phosphorescent des néons bougeant sur sa silhouette. Il n'était qu'un fauve de plus qu'on avait relâché au beau milieu de l'arène, attendant son moment de triomphe, de gloire, dans une chute et une bassesse belliciste.