Le ciel se teintait de ses douces couleurs rosées, violettes et orangées. Un spectacle magnifique qu'il observait durant tout le temps du crépuscule avant de reprendre la route, s'avançant lentement dans l'angoissante pénombre de la forêt.
Il avait toujours été très superstitieux, il croyait aux sorcières et aux esprits, aux vampires et aux zombies. Un seul faux pas, et il sentait qu'il pourrait mourir.

Une seconde fois.

Et pourtant, Nikolas n'avait plus le choix. Il ne pouvait plus reculer. Alors, il s'avançait. Il s'avançait. Ses pieds faisaient craquer les brindilles posées au sol, alors, il se tournait dans tous les sens, pour s'assurer que personne ne le suivait, ni même un loup-garou, ni même un fantôme.

L'air frais venait s'entourer tout entier autour de son corps, et Nikolas frissonnait, pourtant, il ne pouvait plus reculer. Il fallait continuer d'avancer. Il était à présent bien trop proche du but. Il arpentait l'immense forêt, toujours en prenant soin d'être bien discret.

C'était un homme aux allures presque adolescentes. Son teint était hâlé, ses cheveux ébouriffés et sombres. Celui-ci semblait venir de si loin, ce maudit qu'Arkaïos suivait depuis des jours, des semaines. Il ne savait pas grand chose de lui. Seulement qu'il se souvenait, et c'était déjà trop. Alors, cet homme-enfant, il voulait aller l'aider, pour qu'il puisse tout oublier, comme lui, qui tentait de ne pas se rappeler.

Sa respiration s'accélérait alors qu'il suivait cet étrange garçon, totalement hors du temps. Arkaïos avait peur. Peur des esprits, peur de lui. Il avait appréhendé ce moment pendant si longtemps, comme à chaque fois qu'il traquait un myosotis. Ce soir-là, c'était encore pire, sûrement à cause du lieu. Mais que venait-il faire dans cette forêt hantée ?

Il attendait le bon moment, caché derrière un marronnier. Un moment d'égarement, un moment d'incertitude. Il fallait à tout prix que l'autre soit immobile, pour qu'il soit capable de l'approcher. De loin, il le suivait, couvert par les chênes et les sapins, afin que l'autre ne puisse pas le voir. Quand allait-il enfin s'arrêter ?

L'ambiance de l'endroit rendait le borgne terriblement mal à l'aise. Il était à présent persuadé qu'une entité le suivait. Tenant fermement son chapelet, il continuait sa traque, quelque peu désorienté par l'étrangeté de la forêt. Il ne devait pas le perdre de vue, surtout pas maintenant. Il était si près...

Les étoiles pointaient le bout de leur nez, certaines se cachaient derrière les grands arbres centenaires, d'autres scintillaient de mille feux. Le maudit s'arrêtait enfin, cherchant sûrement un peu de repos. Alors, sans aucune hésitation, Nikolas s'approchait, d'un pas lent, pour ne pas l'effrayer, pour ne pas le laisser s'échapper.

La pleine lune semblait vouloir les éclairer, et le roux pouvait parfaitement observer tous les traits du garçon. Mais au plus il s'approchait, au plus son cœur se serrait. Quelle était cette étrange sensation qui venait le déchirer peu à peu ? Pourquoi tout son être le faisait incroyablement souffrir ?

Il le regardait dans les yeux, et une énorme tristesse vint parcourir son esprit. Sans qu'il puisse les contrôler, les larmes s'enfuyaient de son seul œil, s'écrasant lamentablement au sol. La main devant ses lèvres, il tentait de se calmer. Que venait-il de se passer ? D'où venait cette étrange nostalgie ? Pourquoi ? Comment ? L'Hellebore restait muet face à tout cela, trop préoccupé par son état, avant de se ressaisir. Pourvu qu'il ne l'ait pas vu pleurer.

"Que faites-vous, dans cet endroit si lugubre ? Vous chassez les fantômes ?" Disait-il, de son ton le plus neutre.

Au moins, si c'était bien le cas, Nikolas pouvait se sentir rassuré. Aucune entité ne viendrait les troubler. En attendant, il fallait savoir comment l'approcher, sans l'effrayer, pour l'aider à oublier.

Puis, cette troublante rencontre sera oubliée à son tour.

Un léger coup de vent vint soulever la crinière rousse du garçon. Quelques feuilles bougeaient, on entendait leur bruit sur le sol. Il y avait comme une impression de déjà vu, de déjà vécu, qui lui faisait mal et le perturbait. Les bras du Myosotis venaient s'enrouler autour de Nikolas qui poussait un hoquet de surprise. Les étreintes le mettaient toujours mal à l'aise, surtout lorsqu'elles venaient d'inconnus. Il essayait de rester calme et d'afficher de nouveau son visage neutre, tentant de ne pas se faire trahir par ses émotions. Un baiser sur la joue, un délicat baiser, vint colorer ses joues en rouge. Tout cela était bien trop bizarre pour le roux, et son cœur se mettait à battre fort, si fort qu'il avait peur qu'il s'échappe de son corps.

Cet homme, dont la malice ornait le visage, semblait à vrai dire bien plus pur qu'il n'y paraissait. Il n'y avait qu'à entendre sa manière de parler, sa manière d'agir, et tous les gestes qu'il avait à l'égard de l'Hellebore. Pourquoi était-il si triste ? Pourquoi ? Lui-même n'en savait rien, pourquoi les larmes s'étaient écoulées le long de son visages quelques secondes auparavant ? Pourquoi ne pouvait-il pas s'empêcher d'être envahi par la nostalgie ? Sa tête le faisait souffrir, il n'avait qu'un désir à présent, l'éclater contre le sol.

Une nuée de lucioles.

Arkaïos savait qu'elles se promenaient parfois dans ces bois, mais ce soir, il faisait peut-être trop frais pour parvenir à les voir. Peut-être se cachaient-elles, attendant des jours meilleurs. En tout cas, lui savait où les trouver. Mais voulait-il vraiment emmener ce garçon avec lui ? Il n'était là que pour une seule chose, mais peut-être que le destin, assez malin, en avait décidé autrement. Dans tous les cas, ce ne serait pas quelques insectes scintillants qui lui redonneraient l'envie de sourire, ça, il en était certain. Pourtant, en voyant le regard de sa cible, il s'était résolu à l'emmener les voir, car il voulait le voir sourire. Il n'y avait rien de plus beau qu'un sourire.

"Je peux t'emmener les voir si tu veux. Mais peut-être que la seule chose que tu verras ce soir, ce sera le ciel étoilé. Suis-moi."

Ils s'enfoncèrent un peu plus dans la forêt qu'Arkaïos connaissait malgré lui, et le silence s'installait. La nostalgie, elle, s'évaporait peu à peu, et sa respiration reprenait peu à peu un rythme normal. Il fallait revenir à l'essentiel. Il s'arrêtait subitement. Il ne voulait pas passer par quatre-chemins. De toutes manières, une fois les lucioles retrouvées, ils ne se reverraient plus jamais, car ils se seront oubliés. De nouveau, il se tournait face à lui, sa prunelle verte semblait presque briller dans ce noir inquiétant.

"J'ai besoin de savoir. De quoi te souviens-tu ?"

Les bruits de la nuit commencèrent à se faire entendre. On pouvait alors écouter les coassements des crapauds et le hululement du hibou qui avait les yeux rivés sur ce spectacle. D'autres grillons et criquets venaient ajouter leur grain de sel. Doucement, la nature se révélait.

Le jeune brun semblait ne pas savoir comment contenir sa joie, se dandinant partout, une expression d'intense joie collée au visage, que le rouquin trouvait, lui, un tantinet exagérée. Lorsque ce dernier s'était subitement arrêté, puis, retourné vers cet étrange personnage, il fut relativement étonné de le voir dans cet étrange état. Les yeux baissés, les mains maltraitant son pull, les joues rougies par une gêne inexplicable. Arkaïos haussait les sourcils, un air blasé dans le regard.
Il lui faisait une étrange demande, approchant sa main de la sienne, et, sans vraiment pouvoir se contrôler, sans vraiment savoir pourquoi, l'hellébore tendit à son tour sa main vers celle du garçon, sa paume effleurant la sienne, son coeur se mettait à battre très fort, encore une fois, mais pourtant, son expression ne bougeait pas. Il était discrètement dans tous ses états. Nikolas ne répondait pas verbalement à sa requête, il se contentait simplement de le satisfaire comme cela, de toutes les manières, que risquait-il de plus ? Que risquait-il de moins ? Il était inutile d'être mauvais, méchant, ou stupide, au fond, tout cela ne lui coûtait rien, et ça rassurait son étrange ami, ami qui, lui faisait ressentir des choses tellement nouvelles, ami qui, lui faisait ressentir, tout simplement. Ca faisait tellement longtemps...

Encore une fois, les battements de son cœur s'accéléraient, si bien qu'il pensait qu'il allait le lâcher. Les souvenirs du garçon. La mélodie des fonds marins, les horribles cris des monstres aquatiques... Tout ceci n'était peut-être qu'une incroyable coïncidence, mais le roux se demandait de plus en plus s'il ne l'avait pas déjà connu avant. Qui était-il ? Avait-il véritablement envie de savoir ?

Il n'eut plus le temps d'y réfléchir qu'il se faisait entraîner par le brun, qui manquait de trébucher, avant que l'hellébore l'agrippe de ses deux longs bras, juste avant que son doux visage se fracasse contre le sol. Il le tirait alors vers lui, le serrant fort, puis, le relâchant immédiatement après. De nouveau, ses joues se tintèrent en rouge. Durant ce cours instant, où il l'avait eut, dans les bras, un choc électrique lui traversait son corps tout entier. Cette étrange sensation, il l'avait déjà eut dans le passé. Et, assez soudainement, tout son être lui faisait horriblement mal. Et il se souvenait, encore une fois, d'un bateau qui s'échouait, d'un trésor que l'étrange androgyne gardait fort dans ses bras. Sa pupille venait rejoindre celles du brun, et, pour la première fois, elle s'illuminait d'une étrange émotion. Encore une fois, il se mettait à pleurer, avant de s'arrêter tout aussi soudainement. Reprenant une nouvelle fois la main du myosotis, il continuait à parcourir la forêt, jusqu'à arriver devant un petit lac, entouré d'arbres, et de petites lumières qui clignotaient, les lucioles. Elles n'étaient pas bien nombreuses, mais elles étaient là, et scintillaient au même rythme que les battements de son cœur.

"Les lucioles... J'espère qu'elles te plaisent."


Totalement bouleversé, il ne savait plus comment aligner les mots. Il prit une grande inspiration, cherchant quoi dire. Ils s'étaient connus, il y avait fort longtemps, et voilà que le destin, à l'humour plus que malsain, avait décidé de les réunir à nouveau. Mais Arkaïos ne voulait pas, Arkaïos ne voulait plus. Sa souffrance était bien trop grande.

"Tes souvenirs... Tu... Tu dois les oublier. Moi... Je ne veux plus me rappeler de toi..."

Les yeux du Fossile s'émerveillèrent à la vue des lucioles, et, tout comme elles, ses iris scintillaient, alors que Nikolas, lui, préférait plutôt regarder le sol, son cœur se serrant de seconde en seconde, alors que le Myosotis lui rendait la tâche encore plus difficile avec son innocence et sa candeur. La joie qu'il éprouvait, comme s'il n'avait jamais rien vu de tel, aurait pu mettre un peu de baume au cœur du rouquin, cependant, il était bien trop préoccupé par la nouvelle qu'il devait lui annoncer.

Et puis lorsque celle-ci tombait enfin, le brun fut totalement bouleversé, au moins autant que l'autre garçon, et, quelques perles vinrent se loger au coin de ses yeux. Plongé dans l'incompréhension la plus totale, il s'accrochait à Nikolas comme il semblait vouloir s'accrocher à ses souvenirs. Mais Nikolas souffrait déjà trop, et il ne voulait rien lui dire, il en était incapable. Il voulait simplement tout oublier, il voulait juste que tout soit effacé.

Ses bras ne vinrent pas entourer le corps du ténébreux lorsqu'il vint se lover dans ses courbes. Il tentait de rester impassible, mais dans sa tête, tout bouillonnait, tout s'emmêlait. On n'entendait plus que les quelques sanglots, puis, le calme qui revenait lentement, et, enfin, une certaine tendresse qui semblait émaner toute entière du Myosotis.

Pourquoi ça faisait boom boom, dans son cœur ? Pourquoi toutes ces paroles le rendait aussi étrange ? Aussi triste, et heureux à la fois ? Pourquoi tout son être le faisait agréablement souffrir ? Lui, qui paraissait lutter contre ses souvenirs, les laisser l'envahir un court instant, un instant étrange de plénitude, mais qui le rendait terriblement mal à l'aise.

Lentement, le roux croisait ses doigts avec ceux du Fossile, et les diriger vers son cœur. Un léger sourire s'esquissait sur ses lippes, alors que son œil, rougit par ses pleurs, continuait à remplir de tristesse.

"Ressens. Toi aussi, ça fait boom boom. Tu ne l'avais jamais remarqué ?"

Sa main libre allait s'engouffrer dans la tignasse emmêlée du garçon, tendresse qu'il ne dévoilait que très rarement, lui-même fut assez étonné de ce geste qui lui était pourtant venu si rapidement.

"J'aurais aimé exister... Avant que ta vie ne se soit terminée..."

La tête cachée dans la nuque du brun, Arkaïos se souvenait enfin. Arkaïos oublierait bien, mais il voulait encore profiter de ce moment, seulement quelques instants.