Il n'y a pas longtemps que la ville crie en mauve sous ses semelles ; de ses ombres étoilées Ray défie les diodes ce soir - on ne doit pas le mordre aujourd'hui : il souffre d'écumer ces marais où roulent ses mystères dévidés, mais il ne redoute pas la fin. Il sait, qu'il ne doit pas redouter la fin : même si les trottoirs sont traîtres à son auréole noire (et même si les iris sont armés par-dessus son épaule), enfin il n'a pour épée ce soir qu'une bouteille de vin, et un rire ourlé de secrets : il est trop innocent pour ces gazouillis qui l'accusent. Peut-être ondule-t-il nerveusement entre ces bras de bitume, mais il dévore des lianes de détresse pour savoir se confectionner un sourire de verre, il y a des (baisers d'ivresse) farces à se conter au détour des amours. Au diable les jours galopants, et les petits mots qui toujours lui veulent du mal, Ray a décidé de s'accommoder des furies de songe qui ont été brodées à sa poitrine. Il entre sans frapper, par habitude.
Il se repère au bruit pour chasser une vie où se (cacher) languir. La silhouette de Vito se distingue gentiment au jaune d'une lampe familière, il est de dos et innocent, la nuque ouverte, les lèvres vides. Ray attend de se faire remarquer, s'impatiente dans la seconde (car il aime avoir à lui cet azur noir au fond de ses yeux) ; il sourit chastement de bientôt goûter à la chaleur des niaiseries adulescentes, là où il se fait rires et où il se fait fumée, des éclats pour combler ses coupures : il se faufile tranquillement dans la cuisine, la bouteille à la main, le sourire aux lèvres, pour des pièges de cour de récré. Sa nuque se tort sans le savoir à l'angle des abîmes, ‹ Salut › rose et noir au creux de son oreille. Il recule avec un rire de gamin. ‹ Je t'ai fait peur hein ? ›
Aujourd’hui le temps de quelques ronds amours céladons, il a mis de côté les maux et moussons gravés dans ses os. Il les a échangés contre mots et sourires, peut-être menus, pour l’occasion, jusqu’à ce qu’ils ne soient plus que brume. Il les a rangés dans un coin et a jeté un drap dessus comme on cache un miroir prêt à avaler peines et souvenirs. Pourtant l’eau coule toujours. Elle serpente sur ses mains gorge l’éponge s’enfuit par le siphon, teintée de sa propre traîtrise. Elle s’est infiltrée partout, elle a pris la forme de son corps et parfois elle le noie un peu. Souvent il craint qu’elle ne se soit mêlée à son sang et qu’ait commencé l’érosion. Il suffit d’un rien, sept petits mots, le claquement sec d’un écran que l’on plaque face contre le carreau, le crissement des rayures nouvelles alors que les doigts humides pâlissent - pour que jaillissent mille torrents gelés sous sa peau. Flétrir dans la rancœur et répéter l'horreur. Vito avait espéré un répit.
Lorsque soudainement il n’est plus seul, il est n’est plus vraiment là. Il ne remarque pas que le temps figé de la cuisine est empiété, que ça fait six minutes que ce verre est rincé - sur le rivage de ses poignets, l’écume a déjà séché. La terre a encore tourné sans lui (pourtant il a senti la marrée). Répéter l’horreur répéter l’horreur et contre son oreille on souffle, derrière son cou se faufile doucement sa sentence et lorsque le verre heurte l’émail de l’évier, un sillon d’y trace. L’envolée de son cœur n’est pas celle que l’on pourrait espérer en ce jour où il est à l’honneur, et la flèche qui perce son estomac n’est pas celle que l’on chante dans les poèmes - en une seconde, il a creusé un ravin qu’il a enjambé. Quand son monde se remet à tourner, il ne sait pas si le destin a été ironiquement clément avec lui ou s’il a toujours été aussi idiot. Son regard est levé vers celui de Ray. Ray, oui Ray qui d’ordinaire dompte les vagues et construit les barrages, Ray qui avale avec lui une misère tacitement embrassée, qui enterre les soucis sous la blanche fumée rieuse. Ray qui ne sait pas, Ray qui pourtant ingénu se retrouve sans le vouloir épouvantail, fui et craint pour trois battements de cœurs.
Ray, son ami Ray est dans sa cuisine, une bouteille de vin à la main pour accompagner le repas de ce soir, comme prévu, avec pour seul tort d’avoir été familier avec la personne appropriée. Mais. Te le sais pourtant, Ray, que lorsque la peur l’accable la maîtresse gentillesse montre un peu les crocs, même si cette fois ce n’est pas un jeu.
« Ne » une vague hésitation (peu) judicieusement placée « refais plus ça. »
Ray
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Mer 21 Fév 2018 - 5:04
Mais la malice à ses sourires se réverbère à des abysses stériles de sa fièvre : quoi, n'a-t-on pas fait courir la rumeur des amours jusqu'ici, a-t-il troublé les mers ? Il ne comprend pas : son visage se tord en une ombre mal jetée qui doute des lumières. Ray reprend à lui ses doux nuages d'argon, tout à coup il méconnaît les marécages violets qu'il est venu hanter. A ses sourcils se fronce la douleur de ses doutes, mais quelque part, la ville ne lui avait-elle pas déjà soufflé qu'on n'aimerait plus ses reflets même à l'abri des cœurs entachés. Il rit un peu sous le coup des nerfs, ‹ Quoi ? › mais oui, quoi ? Où donc est la fureur de ce rire qu'il sait presser ? Il ne comprend plus. ‹ T'es sérieux ? › Mais si : il comprend. Ah ! Il comprend très bien. D'une fêlure putride de son poitrail, on lui souffle le venin amer du désamour. A sa pupille noire s'ouvre très sagement l'horreur de sa présence, il ne savait pas encore qu'il faisait périr les fleurs si loin sur le monde. Ne lui en voulez pas : il ne savait pas. Une corde de patience cède à ses tempes imbibées, et relâche des vannes empourprées de mauvaise verve. ‹ C'est quoi ton problème ? › Il ne demande que pour se défendre : il est désarmé de ses épines de tendresse, et n'a plus rien à mettre à son cœur. Au hasard il prend les armes de ces haches acides, mais sa blessure est déjà sanguinolente : c'est qu'on ne veut plus de lui ici. Il se débarrasse de la bouteille sur un comptoir et souffle un dernier crachat de rire, mais cette fois-ci Ray rit de lui-même. Voilà donc : Vito même se tourne à lui, et paraît-il qu'il n'y a que ces sifflotements cruels à son occipit pour l'aimer. C'est la blague la plus drôle ce soir. ‹ Écoute si je te fais chier tant qu'à faire je rentre, hein. ›
Une pensée l'avait traversé quelques heures plus tôt. Une pensée un peu déplacée, la belle intruse ; et si j'achetais des fleurs, pour plaisanter. Une blague en forme de bouquet sincère mais un peu risquée (ils auraient ri) avant qu'il ne se souvienne de ce doux silence dont ils ne parlaient jamais mais que Vito ne parvenait pas à réellement enterrer. Ce soir hélas, ses lèvres n'auraient jamais eu que le goût du poison - celui dont elles s'humectent depuis plus d'un mois, un poison-mensonge qui ne lui offre chaque jour (chaque heure chaque minute) que le bouquet aux effluves de remords qu'il redoute tant (le parfum des regrets est l'un des pires). Car à ses côtés demeure l'oiseau éventré qui depuis sa cage lui souffle milles ignominies, celles qu'il n'ose pas évoquer. Ainsi soit-il. Parfois, c'est de l'eau souillée qui coule sous les ponts.
« C’est bon, calme-toi. »
Cela ne prend que quelques secondes, quelques secondes où les murs de la petite cuisine s'allongent et où le sol de fait désert aride ; où les rires se meurent et où le soleil sur ces traits d'habitude tendres qu'il connait si bien est tari par la douleur. En cet instant Vito se sait faible et son âme hâve : son révolu est jeté sur une morsure injustifiée, venimeuse tandis que son esprit peint dans sa mémoire chacune des misères dont il est la source. Au fond de lui, il espère que rien n’est vrai. Que Ray n’est pas vraiment là. Que l’éclipse est de retour et que tout n’est qu’un rêve - pourtant la nausée qui tord son abdomen est aussi réelle que le froid qui remonte le long de ses bras. Il aurait beaucoup donné pour être ailleurs (mais il en est déjà revenu).
« J’ai pas de problème, je te demande simplement de pas approcher comme ça par surprise alors que je t’ai même pas entendu entrer. »
Il l’a bien remarqué - qu’outre les blessures soeurs au centre du tourbillon de leurs âmes brisées, que quand tout ce qu’il y a de gracile au fond de son coeur un instant s’évanouit - que quelque chose se casse entre eux. Vito ne bouge pas, les épaules tendues, alors que le culot de la bouteille heurte le comptoir. Un claquement bref, absorbé par le liquide couleur sang à l’intérieur. Il ne l’avait pas remarquée.
Peut-on réellement appeler ça une bataille, si son regard s’enfuit ainsi ?
« Mais pas du tout, sérieusement pourquoi tu le prends pour toi, ça va je t’ai demandé un seul truc c’est vraiment pas compliqué. »
Peut-être, oui, si son ton est aussi sec que ses mots accusateurs. La guerre est ouverte, il n'y aura pas de gagnant.
Ray
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Lun 26 Fév 2018 - 19:01
Ah, mais du calme ! Ray calme-toi donc : que l'on fasse taire cette course galopante à la plaine sèche de sa tête, et qu'il reprenne à ses poings serrés les douceurs graciles des amitiés qui batifolent, pardon, pardon, je me suis emporté. Mais non ! Mais non, ce n'est pas ainsi que fonctionnent les mers voyez-vous, gorgées d'un sel rougissant elles enfuient leurs vagues sur ce genre de plages qu'il a au cœur : Ray ne peut pas en revenir. Tous les mots sont autant de terre battue qui dévorent ses chastes racines : il pince les lèvres et fronce les sourcils pour se refaire au sarcophage confortable de sa pensée. Un scorpion malin s'invite à ses veines. Ils ne piquent que sous la menace de la nuit, et ne savent pas qu'on pleure leurs meurtres. ‹ Tu me prends pour un con › ce n'est pas une question, ces trois lettres-là sont peintes dans les fausses fleurs que Vito met à sa gorge. ‹ Putain Vito si t'as un problème, crache le morceau, fais pas genre que j'invente. › À sa pupille se serre un brumeux rempart d'argile ; il en est sûr à présent. Cette terre-là aussi se dérobe à ses pieds d'innocence. ‹ Et merde › il crache, ‹ tu me gonfles. ›
Un souffle puissant balaie ses poumons enivrés des mauvais poisons, et pire encore ses soupirs accouchent d'œillades cruelles. Sa plaie est infime, invisible aux mortels peut-être, mais c'est un gouffre hadal pour les contours troubles d'une amitié effilochée en nébuleuse ; là viennent y pourrir la voix pernicieuse des faux-semblants, et des épaules qu'il n'avait jamais remarqué être repoussées par lui. Même des yeux, Vito le fuit : il pourrait rire de sa douleur, s'il n'avait déjà pas pris sur sa poitrine cette croisade tumorale. C'est donc qu'il est le seul ici à garder ces flammes sur ces mains - il veut prétendre les avoir soufflées ce soir, bras croisés et l'air de quelqu'un qui y pense le moins possible (mais il y pense tout le temps) pour ne pas souffrir du froid. ‹ Je prends pas tout pour moi, t'es juste pas foutu de me dire les choses en face. C'est tout. › Mais, finalement : comme tous les autres n'est-ce pas. Ray connaît les ronces à son cœur : il ne savait simplement pas que toi-même tu les craindrais. ‹ J'en ai plein le cul de ta passivité-agressivité de collégien. Te fatigue pas à essayer de pas me dire que tu veux pas me voir : je me tire. › Allez ! Bonne nuitée sur tes lèvres seules.
Ray est là, dans sa cuisine, debout avec son manteau d’hiver tissé de hargne (il fait encore froid dehors), les cheveux un peu décoiffé par un vent de colère. Il a laissé ses chaussures dans l’entrée et a amené le trouble et la pluie avec lui sans arrières pensées hélas, mais l’orage a éclaté. Oh, Ray, ne le vois-tu pas ? comme son visage se ferme comme ton regard s’emmure, lui qui d’ordinaire t’étais volontiers offert. Envolés les éclats, les rires tonitruants, les chants béats au creux des nuits filandreuses. Rompus les charmes incertains, ces amours que l’on nomme confiance, les poussières d’étoiles de leurs rêveries et les ronds sucrés de fumée. À leur tour ses bras se croisent sur une poitrine qui se veut vide (elle ne l’est pas, elle ne le sera jamais), armure à un cœur pulsant d’eau - s’il se trouve engourdi, bientôt il lui fera mal. (Si mal que chaque battement sera un où es-tu, un reviens, une balle un couteau une épée plantée dans la chair que le millier d’épines dans ses artères passera et repassera pour raviver la plaie si nette que laissera l’envolé (disparu, évanoui) derrière lui, la balafre rouge et noire du manque des pleurs des remords du v i d e, mais nous n’en sommes pas encore là voyez vous. Pour l’instant, l’un face à l’autre entre ces quatre murs, ils se perdent.)
« C’est bon là ? T’as fini ton numéro ? » Ses yeux se relèvent, il a écouté ce que tu avais à dire mais le bon sens s'en est allé. « C’est moi le gamin alors que tu te fais des film tout seul dans ta tête ? » ah, sa voix s’est haussée (rareté) et lorsqu’elle se repose, elle s’est aggravée (à se demander s’il en a déjà été ainsi). « T’es parano, mon pauvre. »
Dans un souffle ses bras s'arrachent à son coeur et s’écartent non pas pour l’enlacer comme ils l'auraient fait autrefois (un bonjour, un socle, une aide) mais parce qu’une petite haine a pris place dans ses yeux. Une petite rancœur habillée de pourquoi, un carquois de flèches cassées nommées et si qui se plantent au hasard, le germe de la colère qui fait trembler ses doigts. Il fait un pas en avant.
« Tu sais quoi, en fait t’as raison : t’es vraiment un con. Tu vois pas plus loin que le bout de ton nez c’est dingue. Tu mérite même pas que je t’explique quel est le problème, tu reviendras me voir quand t’auras réalisé à quel point tu t’es planté. »
Un bras s’étend dans une fausse lenteur vers cette porte - celle à laquelle Ray n’avait autrefois pas besoin de frapper, celle qui l’a vu passer des dizaines de fois. Une terrible invitation.
« En attendant, c’est ça, tire-toi. Bon courage avec ton putain d’égo et va bien te faire voir. »
Ray
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Mer 28 Fév 2018 - 23:11
Le rideau ne tombe pas très joliment à la fraîcheur de son regard mal éclairé, d'où cette scène dévastée est, risible, d'émois fracassés sous terre (Ray sent les épineuses interrogations du soir sous ses semelles). Très bien, Vito : fais tien ce cimetière zinzolin, et mets-y en terre la fièvre néonisée qui te cherche par-delà la ville. Une bile acide vient brûler le bord de ses lèvres, il ne peut plus parler : il y a un marécage empourpré de mauvaise lumière sur sa langue, directement craché de ses ventricules. ‹ Ah › c'est tout ce qu'il trouve comme répartie bravo ‹ tu sais quoi › mais non : il ne sait pas. Il laisse léviter ces mots-là à la toxine de cet air qui devait être iridescent, à la recherche d'un sol où leur faire toucher terre ; mais ils se mêlent tous à sa bouche, et finalement il ne sait plus quoi dire de ce marasme boueux. Ses mains retombent ballantes à ses côtés, et il n'a qu'un rire nerveux à offrir. ‹ A la base je suis venu pour te faire plaisir, et parce que je me disais que ça serait sympa de passer la soirée avec toi. › parce que (c'est toujours bien quand tu es là parce que les rires mauves qui déchirent le plafond et la fumée qui éclaire la tête parce que c'est plus f a c i l e quand c'est toi qui) (rit en premier Vito) Mais cette illusion-là aussi s'est diluée à la fureur de ces cinq doigts d'opprobre, tendus au-dehors. Il ne voulait pas retrouver si tôt cette ville poison : mais ces serpents-là ont aussi leur nid de sable ici non, là où il est bien tendre de le mordre. Au gouffre noir de sa poitrine, Ray sent comme joliment des rubans d'incertitude se délient à son cœur sauvage : il ignore quelles étoffes ils laissent béantes, et sa tête se vide de trop d'émotions avalées. ‹ Et quoi, tu crois vraiment que je vais revenir gentiment après ça ? Pour m'excuser ? Tu peux te gratter, si c'est pour encore entendre ta pseudo-compassion pour te rassurer, tu peux te le mettre où je pense. › Ça monte ça monte ça monte - calme plat à sa gorge, mais à la digue les mots se b o u s c u l e n t ‹ t'as raison je suis trop con, moi je viens parce que ça va pas trop en ce moment et je me dis "oh super avec Vito c'est pas grave ça sera bien", mais en fait tu me jettes et après tu me dis que c'est de ma faute parce que t'es qu'un SALE BÂTARD comme tous les autres-- › les mêmes yeux cruels hein les mêmes regards vilains (c'est que c'est lui qui les sème) les mêmes baisers volés les mêmes les mêmes les mêmes-- Il doit partir maintenant. Cette urgence maline est sa seule alliée : à la houle de ses berges blessées, il ne peut pas s'empêcher de la vomir, et en quittant ces terres de fiel il veut être sûr d'y assécher tous ses égarements. ‹ Va chier, salut. › Il claque la porte sur les étoiles, et va pour embrasser les démons.
Derrière lui la porte s’est claquée et le sable continue de tomber. Grain à grain, seconde par seconde, le temps s’efface comme il l’a toujours fait. Le monde tourne
Un peu plus loin, le robinet n’a cessé de couler (il vient juste de le remarquer) sur la vaisselle à moitié propre (à moitié sale) dans l’évier. Sa respiration se hache, soudainement l’air vient un peu à lui manquer, ses poumons se rétractent - il appuie ses paumes au rebord blanc et froid du bac. Un frisson le parcourt - il ne le remarque pas.
Ray était là. Ray est parti. Il a déposé des mots, des colères et s’en est allé. Il a passé la porte et il l’a refermée derrière lui et les six mètres carrés de la cuisine sont un puits immense où il pourrait se laisser tomber. Que vient-il de se passer ? Le temps passe. Le téléphone est toujours contre le comptoir. La bouteille de vin est bouchée. Et lui il est toujours là. D’un geste brusque, Vito coupe l’eau et respire. Une fois, deux fois, autant que son cœur fendillé le lui supplie.
Ray était là. Ray est parti. Il a emporté avec lui leur soirée. Ses sourires adorés, son empire son souffle ses airs et ses manières, son visage pas toujours ensoleillé. Le souvenir de leurs rires au détour des jours, et il repense à ces trois, quatre années. A ces nuits de messages échangés, à ces doutes partagés, à la complicité des habitudes : Ray entre toujours sans frapper.
Ray était là, maintenant il est parti, comme il le lui a demandé. Si Ray a brûlé les pétales, Vito a piétiné les tiges de leurs amitiés.
Il avait envoyé un message à Coquelicot, un peu plus tôt dans la journée. Il lui avait glissé qu’il viendrait peut-être l’année prochaine pour lui acheter des fleurs, un joli bouquet. Peut-être aurait-il dû sauter le pas ce jour précis, au moins il aurait eu de quoi déposer sur la tombe de ce qui les avait liés.
Joyeuse Saint-Valentin, fête de l’amour ! Et ce téléphone, ces maudits mots. Ray est parti, comme il le lui a demandé. Pourtant ils avaient tant ri. Au éclats, aux larmes, à en vomir, à en tomber. Peut-être ne s’étaient-ils pas tout dit, mais ils avaient chanté, dansé, dans une impulsion leurs souffles s’étaient mêlés. Vito avait cru, avait vraiment cru qu’ils étaient un rocher (son cœur lui hurle que, pourtant, si). L’horreur de la prise pour acquis.
Ses doigts se crispent, ils se confondent avec la porcelaine. T’es vraiment con. Ca va pas trop en ce moment. Sale bâtard.
Le silence l’accable, autour de lui l’immeuble vit. Il entend la basse de l’appartement d’au dessus, il entend ses voisins parler - comme ils auraient entendu la télé dans le salon, peut-être de loin leurs discussions animés, le livreur de pizza arriver. Pourtant c’est si silencieux qu’il entendrait presque son sang couler. Sa tête se tourne vers la porte. Fermée. Close sur le froid de l’extérieur aux yeux ignorés. Depuis combien de temps ? On est pas comme dans les films, Vito. Ce n’est pas pare que tu as mal que ça va changer quelque chose. Il ne t’attend pas derrière la porte, regarde-toi. T’es vraiment con. Sale bâtard. Tu sais Ray, il ne le pensait pas. Tu sais, Ray…
La porte s’ouvre sur du vide. Ray est parti. Et cette nuit, il ne va pas le retrouver. Il est parti.