Il y a un bruit de succion désagréable dès lors qu’il pose un pied à terre. Ceux-ci s’enfoncent dans la terre molle, la boue cherchant surement à l’attirer à lui dans une étreinte humide, ne se séparant de ses semelles qu’à grands cris du coeur. Tout autour de lui semble froid et mort,en même temps attend-on d’un cimetière qu’il soit un endroit accueillant. Il semble que la métaphore du cimetière comme lieu glaçant soit éculée, du moins pour Cosmo. Cette ambiance ne lui procure aucune émotion, ci-ce n’est l’excitation, une sorte de curiosité malsaine, et peut être un peu de calme aussi.
L’écran bleu de son telephone vient déchirer le noir de la nuit, projetant sa lumière sur son visage, y apposant comme un masque grotesque et pâle, creusant ses joues, ses orbites et faisant briller ses yeux d’une lueur inhumaine.
3:27 A.M - une fois l’heure regardée il éteint l’objet et le replace dans la poche de son blouson remontant son col et son écharpe sur son nez.
Ce n’est pas la première fois qu’il vient au cimetière. Il y est venu six fois dans les deux derniers mois, depuis qu’il s’est mis en tête de chercher des informations sur une entité, pauvre hère se traînant en ces lieux. Devait-il avoir peur ? Peut être, mais la peur chez Cosmo n’existe pas, elle est remplacé par une exquise curiosité, une volonté de savoir, de toucher l’irréel du bout des doigts comme la forme la plus tangible d’absolu. Il avait passé des heures le dos courbé sur son bureau parcourant des articles de journaux, des témoignages plus où moins probants sur internet, à se rougir les yeux contre papiers et écrans, à rester éveiller la nuit sans pouvoir taire ses pensées qui à la manière d’une méduse déployaient leur long filaments entre des bribes de conscience pour les rassembler, les electrifier en une mélasse survoltée.
Pour l’instant il fait sombre, il erre comme une ombre entre les tombes qui tombent en ruine pour certaine, dans l’oubli pour d’autres. Le cimetière est par definition un lieu de mémoire et, Cosmo se surprend à se demander ce qu’il arrive lorsqu’il n’y a plus de mémoire à partager, que plus personne ne vient visiter ces cailloux sans intérêt. Des cailloux sur des chairs mortes voila tout, aiment à dire certains. Mais L’allumé sait qu’il n’en est rien et que les cimetières et ces chairs qui fusionnent avec la boue dans laquelle il marche ne sont que des lieux plus propices au repos des esprits, aux fantômes errants et aux créatures fantastiques. Une des chimères qu’il est venu poursuivre jusqu’ici.
D’un mouvement d’épaule mélangé à un frisson il rajuste le sac sur son dos, ses pas réguliers et lents l’entraînant dans les entrailles du lieux. Pendant un moment il ne pense à rien, il est pourtant rare que sa tête se vide et, lorsqu’il sort de sa torpeur, un sentiment d’angoisse plonge dans ses tripes comme un harpon dans ses organes palpitants. Il reconnait cette partie du cimetière pour y avoir été une fois, dans un de ses plus désagréables souvenirs. Il avait pris soin de toujours d’eviter cet endroit. Il se rend compte avec horreur où ses pas l’ont mené et couard comme il est n’a pas le courage de remonter les yeux, se bornant à fixer ses pieds.
Pourtant il sait et tout ce cinéma n’est que fioritures.
Dans la pierre froide et sombre il devine la cicatrice, le coup de burin qui dessine des signes, des signes qui forment des mots. Des mots qui forment un nom.
Clyde Johnson 1988-1999
Une petite vague de nausée agite ses entrailles, qui laisse place un déferlement de colère. Des années il a soutenu que Clyde n’était pas mort, et même s’il ne le hurle plus à qui veut l’entendre, son idée n’a pas changé. Surtout pas maintenant.
Il n’est pas mort
Et voilà qu’on lui offre une sépulture.
Les sépultures c’est pour les morts. Les dates finies, les pleurs, c’est pour les morts tous ça.
Il est vivant.
V I V A N T.
Y’a que les morts qu’on met dans ce Zoo de chairs pourries et d’âmes en peine. Y’a que les corps qu’on cache sous la terre parce qu’on a trop peur de les voir.
Et regarde cette tombe comme elle est laide, abandonnée. Elle commence a vivre les affres du temps. Et regarde comme elle est bête, il n’y a pas de corps dedans. Elle est vide. Qu’ont-ils mit dedans ? Une poupée de chiffons ? des papiers journaux ? toutes leurs larmes ? leur rancoeur et leur peine ? Evidement il fallait faire bonne figure, il ne fallait pas que le cercueil ai l’air trop léger, trop vide.
Quelque part. Quelque part. Il est toujours là quelque part. On peut presque le sentir.
Et Cosmo le sait.
Saleté de tombe, saleté de cimetière, saleté de plante en plastique.Intoxiqué par le sentiment soudain sa jambe frappe rageusement dans le vieux begonia en plastique, noirci par quelques champignons, qui décore pauvrement la tombe de Clyde.
Dans le silence il n’y a rien, sauf le bruit erratique de sa respiration qui tombe comme une hache et celui du bégonia qui roule un peu plus loin. Il tremble, immobile, un instant puis pris de panique se meut bien vite pour rattraper le pauvre pot qui, entre ses mains, semble agité d’un tremblement de terre. Il mord sa lèvre gercée, honteux comme un gosse, tout plein de cette honte qu’il n’a jamais, et repose le brave begonia là où est sa place.
« … Pardon. »Cosmo se laisse tomber sur la pierre tombale comme un mouchoir que l’on lâche et qui semble choir au ralenti, les genoux repliés, la tête entre ses mains pour tenter d’en stopper les tremblement. Il est fatigué je crois. Ou triste. Les deux vont de paire et se confondent tu sais ? C’est fatiguant d’être triste tout le temps; parce qu’on cherche à le cacher.
« Mais regarde toi mon vieux… Tu t’excuses auprès d’une tombe vide.»[/justify]