Silas est d'une simplicité brutale et approximative. Presque animale tant il fait de la raison et de la logique des principes étrangers qu'il ignore parce que la réflexion représenterait l'immobilisme et s'il s'arrête ; Il chute sans avoir la certitude de se relever. Alors par un décret impérieux, celui de l'instinct, il faut courir, éviter, surmonter ou bien fuire mais ne jamais céder à la catharcie. Il s'interdit la faiblesse et son aveu.

Parce qu'il est né homme, mâle et que les lois bibliques, biologiques inscrites dans les deux hémisphères de sa cervelle au nom de la toute puissante autorité patriarcale lui imposent de ne jurer que par la force. Alors pour le désir du père, Silas ne s'est toujours conjugué qu'avec vaillance, parfois confondu avec violence.

Ce qui compte c'est faire ses preuves. C'est forger son métal dans le feu. Y plonger sa main directement, sans trembler, ni tressaillir puis la ressortir sans grimacer. C'est se confronter aux autres, se faire approuver, se faire acclamer pour ses valeurs comme pour se confirmer qu'elles sont les bonnes. Puis c'est pourfendre, pourchasser avec une vindicte outrée les faibles et les pleutres comme pour raffirmer ses résolutions et approfondir le fossé.

Silas veut, Silas doit dominer autant que possible - C'est ce désir majuscule qui transpire dans ses rires et ses sourires. Il y a une volonté perverse travestie en un charisme martiale et rugueux car Silas ne s'accomplit que lorsqu'il asservit.

Il y a comme une pression permanente sur les épaules de Silas qui lui intime l'action, l'action permanente et le condamne à n'être qu'une suite de coups d'éclats - Avec tout ce brouhaha il sera forcemment un jour entendu.

Car Silas tributaire d'une vieille violence familiale ne rêve que de briser ses chaînes - Un patricide figuratif pour enfin vomir toute cette colère corrosive qui lui tord les entrailles. Seulement, Silas a peur de lever un bras vengeur et de trancher le lien familial : Il n'a que quinze ans après tout. Et son père est bien trop grand. Alors Silas se recroqueville, rentre ses griffes et dissimule ses crocs, subit les orages avec la peur au ventre, celle qui glace et s'intériorise, puis se relève, en tenant tout son courage entre ses deux mains ébranlées. C'est ce même courage qu'il prend pour une réponse universelle et brandit à chaque occasion - Quitte à être insolent, quitte à être effronté, le monde pourra jurer, que oui, Silas n'a jamais froid aux yeux !

Silas, impuissant, a fait du reste du monde un exutoire gigantesque où il cesse de jouer au paratonerre et distribue ses foudres comme il l'entend sans se soucier des conséquences : Il n'a que quinze ans après tout et le retour d'éclair ne l'effraie pas car son sang est chaud et ses phalanges sont nucléaires - Agir ou réagir, Silas n'attend que ça et les temps de paix sont pour lui d'horribles acalmies. Les muscles se bandent, la langue pâtit, toujours prêts pour des joutes physiques ou verbales.

SILAS SINCLAIR

Dans le fond de sa gorge, le goût amer des promesses crues mais jamais tenues. Le corps devenu insensible s'agite sous l'effet des secousses d'un incontrôlable hoquet. Et il y a les yeux. Les yeux rendus flous faute à une incontinence lacrymale qui dessine devant lui un paysage de brume, Tout parait cotonneux. Il voudrait s'y égarer.

Mais il ne peut pas. Il faut se relever. Allez ! Il faut se relever puis repartir.

Alors muni de ce qu'il lui reste de vaillance vaillance, il cherche à se redresser, mais en vain. Ses jambes, des moignons inertes, ne lui répondent plus. Elles sont légères et loin. Un tir de mortier les lui a arrachées.

Il entend le crachat de quelques fusils puis plus rien.

A présent, dans l'obscurité de l'affreux silence qui s'ensuit, il faut trouver un peu d'espoir et chaque seconde semble emplie d'une signification particulière. Il tord le vide des instants à la recherche d'un sens. C'est le dernier sursaut du condamné juché sur un fond d'ardeur. Il songe à des alliés inespérés, des héros de dernière minute. Puis il pense au millénaire promis qui ne peut pas se finir ainsi ! Il ne peut pas finir enseveli dans les décombres d'un Berlin fumant ! Il ne peut pas être englouti par cette marée rouge surgie des profondeurs de la Sibérie. C'est impossible.

Ainsi accroché à d'ultimes velléités, il ramène sa main droite contre lui et cramponne la gauche au manche de son pistolet.

Puis il attend.