le froid engourdit ses joues
mord ses pieds enrubannés de toile
éventrée çà et là ; l’étoile plastique
épousant sa cheville
r é c a l c i t r a n t e
des converses à son image ; décadentes.
(tant que les hivers canadiens restent au nord)
cadence pourtant persiste dans son insensibilité, veut se faire héroïque au seul témoin de son endurance ; lui-même.
entre ses lèvres s'échappe une volute
qu'il ne sait si elle provient de son souffle
ou de la pall dont il aspire la substance
entre ses lèvres s'échappe autre chose
un cri soudain de la conscience.
«
J'AI FAIM MEEEEEEEEERDE »
parce que le corbeau est humain
voilà pourquoi il est hanté par
l'appétit, pour des siècles et des siècles...
un jour, néon lui a dit
que les hommes et les femmes ne tiennent pas longtemps sans s'abreuver, que la nourriture est une privation plus tolérable
un jour néon s'est trompé.
voilà tout.
et aujourd'hui cadence déambule
en le maudissant. de lui avoir claqué la porte au nez, de lui avoir raconté des salades,
parce que cadence n'en a rien à faire
de la science.
si elle ne parvient pas à lui fournir de quoi subsister
pour l'instant.
il lui prend l'envie folle de s'écrouler
dans la boue, de s'étaler
dans les rues. peut-être ainsi, devant la masse brunâtre et informe de son corps, les automobilistes s'arrêteraient en maugréant, mais cadence aurait le temps de leur demander un quignon de pain, juste un seul.
il ignore combien il est dégradant
de s'abaisser à pareil indignité
cadence n'en a pas assez
pour la préserver.
(il ignore volontairement ce principe)
et quand, dans son errance,
la fontaine chantonne à ses oreilles,
le corbeau ne peut s'empêcher
de penser au champagne ; à l'orangeade du mgdo ; au milkshake du tim ; à l'eau des abreuvoirs et de se remémorer envieusement ces instants où il avait le goût rafraîchissant de la vie contre son palais.
c'est fou, comme le temps passe vite
entre deux gorgées.
comme les événements s'accélèrent sous l'impulsion de la faim
comme nous ne sommes plus maître de nous-mêmes
comme le corbeau semble naturellement glisser vers la fontaine
comme il semble si aisément ignorer son voisin qui tout bonnement s'éloigne, après avoir tenté le destin (noyé au fond de la fontaine)
un jour néon lui a raconté
que les hommes et les femmes croient aux vœux et prédictions pour mieux affronter l'absurde de l'existence, que les fontaines servent d'intermédiaires entre une entité divine capable par le biais d'un centime - ou même plus parce que l'entité peut être vénale - d'exaucer les souhaits les plus chers.
un jour néon lui a dit de ne pas croire à ce foutoir.
qu'il fallait plutôt lire camus
avant de se prêter à ces bobars
mais il n'a pas prévu qu'un jour - toujours -
la faim aurait raison de cadence
et que plus rien n'aurait d'importance
ni le léger contact avec l'homme
qu'il effleure sur sa route
ni l'indécence de plonger la main dans l'eau glacée
est-ce qu'elle est potable ???le contact de la pièce avec ses doigts
ouvre à son esprit un avenir brillant ;
d'un goût peu cher et sucré
aspiré le long d'une paille pliée.
cadence empoigne la monnaie
(un dix centime jeté il y a quelques secondes)
(un dix centime chargé d'espoir)
puis une autre, encore et encore.
ses doigts gelés n'en peuvent plus.
cadence satisfait se redresse,
la paume chargée de richesse.
ah ouais, j'crois que j'en ai assez là. parfait.il suffit d'espérer
que le vœu de l'homme concernait la
charité.