pâques ! ce jubilé d'avril où tous commémorent la résurrection d'une chair abominable. pâques ! ce raout idiot où braillent à tue-tête les enfants saouls de mauvais chocolat. leurs parents avinés entonnent des chants liturgiques qui peinent à dépasser la table, à dépasser leur crise de foie, et ils rient en agitant les bras, ces gros patapoufs, ils rient de cet encombrant festin, de ce verger piétiné par leurs petits dégénérés. pâques ! plus grotesque encore que noël, plus terrible peut-être que la toussaint ; pâques, cette imposture rafistolée d'aluminium de toutes les couleurs, cette fanfare, ce canular, pâques, le retour au jardin du tout petit jésus. pâques ! mangez-le, si vous voulez. c'est l'oeuf fécondé par ma haine.

je suis pâques, le bouffon qui saigne quand tous les autres rient, l'arlequin comestible aux entrailles sucre d'orge. je suis l'indéfectible qui cache tous les oeufs comme on cache sa peine, je suis l'idiot qui cherche en vain à empêcher que la nuit tombe sur le jour de sa fête.

avant j'étais une cloche. maintenant je suis un lapin. ils m'appellent la mascotte, de celles qui se trémoussent spasmodiquement sur une devanture. mon costume ridicule me va comme un gant ; il est si serré que lorsque je me coupe mon sang gicle à haute pression pour arroser les fleurs. et je me coupe tout le temps, et mon sang est souvent à l'extérieur de mon corps, c'est-à-dire là où je préfère qu'il soit.

tapi dans le terrier, dans le silence du seuil, je vois les pas des morveux, leurs gros doigts saucisses qui s'emparent de toutes les choses, je vois leur fièvre, leur bave aux lèvres. ils me dégoûtent.

je suis pâques et à pâques j'ai vu des enfants tomber du haut des falaises, du haut de leur bêtise. je les exhorte à marcher dans la combine, dans le coup du lapin, mais les enfants ça ne se dupe pas longtemps. je les déteste.

ils découvrent effarés que le jardin est sans oeufs, sans lapin et sans chocolats. le jardin est une supercherie inculte, inculte comme leurs pères, inculte comme la friche sur laquelle il ne pleut pas, comme ces mauvais champs où le soleil se lève et redescend quand tombe le mois d'avril. cette terre maudite, c'est la mienne, mon héritage, mon apanage. je ne peux pas exister ailleurs. alors sitôt que la mascarade s'effondre, comme un de ces avions qui rencontre un building, hop. je disparais.

les lapins ne pondent pas d'oeufs, qu'ils me disent, alors moi je leur dis merde. je ne suis pas un athlète, pas un esthète, je suis pâques. ah je te vois venir, ah ça y est tu es grand, tu te crois très malin de ne pas croire en moi ? l'évidence, le bon sens, tout ça vous le gardez, vous êtes gentils, je n'ai pas le temps. je suis pâques, je suis très occupé. et pour ceux qui s'obstinent à me traiter de pervers polymorphe, continuez. c'est très bien.





- vous êtes bien sur la boîte vocale de noël, n'hésitez pas à laisser un message que je n'écouterai pas. *bip*
- au secours il faut que tu me rappelles c'est très très très urgent, au secours, à l'aide, ils ne veulent pas m'écouter, ils me parlent de pervenches et de voies de fait et je ne comprends pas, je ne comprends rien, ils veulent m'emmener. pitié au secours tu es mon seul ami, tu es le seul qu'ils voudront bien croire, tu sais je me suis fait attaquer, je voulais juste qu'il me laisse, je devais me protéger, qui l'aurait fait à ma place oh mon dieu qu'aurait-il fait si je l'avais laissé ??? je me suis juste défendu, je voulais juste qu'il s'en aille, je voulais juste qu'il me laisse, je DÉTESTE les enfants, cet enfant était horrible, si tu savais il était tout mou, laid, pas fini. je ne pouvais pas savoir qu'il tomberait de cette façon, et que les bras pouvaient se tordre dans cet angle, et que les enfants pouvaient crier si fort, et oh mon dieu mon dieu mon dieu quelle horreur, à l'aide, à l'aide, au secours, ils m'ont mis des menottes !! ils, ils, ils, je ne sais pas où ils m'emmènent !!!!
- allô ? allô ? pâques ? tu bloques ma ligne.
- À L'AIDE !!!!!!!!!
- passe-moi le policier.
- brigadier wesson en ligne. vous êtes une connaissance de cet individu ?
- que s'est-il passé ?
- il a agressé un petit garçon qui a voulu l'approcher dans la rue. il l'a poussé sur un cycliste et l'enfant s'est cassé le bras. sans compter le délit de fuite.
- je suis navré. je me porte garant de pâques et paierai les frais d'hôpital.
- pâques ?
- mon ami. il souffre parfois de psychoses et il faut être patient avec lui.
- sans déconner.
- il a du mal avec les enfants depuis son précédent travail. ne vous inquiétez pas, il sera pris en charge. puis-je vous rejoindre au commissariat ?
- tant que vous vous occupez de la paperasse.
- à tout de suite. *bip*






- sos fourchette bonjour, lavona en ligne, je suis à votre écoute.
- bonjour, heu, lavona ? je peux parler à une personne avec un prénom normal s'il vous plaît ?
- tous mes collègues sont en ligne en ce moment. vous désirez ?
- d'accord, oui en fait, c'est l'heure du déjeuner et j'ai mis la table et les assiettes sont froides et noël n'est pas venu, ça va bientôt faire vingt cinq minutes que j'attends, alors je m'inquiète, je veux dire ça ne répond pas sur son téléphone c'est vraiment très étrange, très étrange car normalement ça répond toujours voyez-vous, alors comme c'est l'heure du déjeuner et que ça fait vingt six minutes et qu'il n'arrive pas vous voyez moi je commence un petit peu à paniquer, oui c'est ça c'est la panique vous comprenez.
- alors ce que je peux vous proposer c'est le menu spécial tapas pour commencer.
- oui tout à fait, le menu spécial tapas très bonne idée, le problème disons c'est que noël digère assez mal la pomme de terre, et qui plus est il n'est toujours pas là, ça va faire trente minutes c'est assez problématique du coup, et moi disons que je préfère éviter pour la simple et bonne raison que j'ai jamais pu blairer ça moi les tapas.
- dans un autre registre je peux vous proposer quelques bocadillos.
- oui alors attendez restez en ligne je vais juste vérifier quelque chose... oui voilà c'est ça, en fait vous allez arrêter d'utiliser des mots bizarres que je comprends pas parce que moi ça ça ça me fout l'angoisse. en fait je crois que je vais pleurer. j'en ai des hallucinations tenez, j'ai l'impression que ma porte est en train de s'ouvrir toute seule, je crois que cette fois c'est la fin, vous êtes fière de vous j'espère avec vos boqui... cadi...
- ...sinon on peut rester sur des gressins et un assortiment d'olives c'est vous qui voyez...
- *bruits* allô. bonjour. excusez-moi, mon ami s'est trompé, c'est une erreur de numéro.
- tiens donc.
- je suis vraiment désolé pour votre temps. nous ne vous dérangerons pas davantage. je vous souhaite une excellente journée. *bip*






- sos suicide bonjour, lavona en ligne, je suis à votre écoute.
- lavona ???? lavona de sos fourchette ???????
- oui, service de jour, service de nuit. comment puis-je vous aider ?
- alors cette fois j'espère que vous serez plus performante parce que les là bocadillos ça va pas suffire. donc pour vous décrire, dans la main j'ai un modèle inédit de robert herder 1922, couteau de chef de vingt-trois centimètres carbone. il ne fait aucun doute qu'il traversa ma carotide avec une grande facilité si ça continue comme ça parce que je vous jure que c'est pas facile tous les jours je je je n'en peux plus je ne vous le cache pas.
- ne quittez pas, je vous met en ligne avec quelqu'un de plus indiqué.
- pâques. je t'ai déjà dit de ne m'appeler que sur mon numéro privé et hors de mes heures de service.
- ça ne va pas très bien, noël. ça ne va pas du tout. il y a des personnes derrière ma porte qui n'arrêtent pas de sonner, et elles ne veulent pas partir, et connais-tu la particularité de ces personnes noël, ce sont des ENFANTS. des scouts. avec des gâteaux et des bons d'achat et je ne sais quelles autres saloperies d'enfants. ils mettent leurs mains d'enfants partout sur ma porte et ma sonnette et tout alors voilà il faut m'expliquer comment faire, parce que là j'ai mis un fauteuil devant l'entrée mais tu connais les enfants ils sont très récalcitrants. alors j'avais pensé que peut-être la solution du coup et bien c'était de m'ouvrir les veines.
- pose le couteau et va t'allonger. ne leur ouvre pas la porte. ils n'existent que derrière la porte. ils ne te feront rien, tout va bien, essaye de te calmer. je termine bientôt mon tour. je passe te voir.
- *bruits* *bip*






- tu sais je suis désolé d'être comme ça. je ne peux pas m'en empêcher. si tu savais !!! à quel point !!!!! j'aimerais avoir un cerveau comme le tien !! un beau cerveau un joli cerveau un cerveau sympa. à la place j'ai ce, cette, chose, ce truc qui cogne dans ma tête.
- je comprends. c'est parfois difficile. j'ai une tante, un jour elle s'est faite mordre par une chèvre. depuis elle a pété un câble. ils l'ont mise dans un hôpital pour ça, ça doit faire trente ans. ou alors c'est parce que son mari s'est défenestré, je sais plus.
- des fois tout va très bien je peux sortir parler à des inconnus faire des choses regarder le soleil. c'est qu'ils m'ont licencié du magasin et maintenant plus personne ne m'embauche donc je n'ai plus grand chose à faire disons. et puis ma famille fait semblant de pas me connaître donc j'évite de les embarrasser ils ont assez de soucis comme ça. et puis de toutes façons ils ont des gosses et tu sais moi les gosses hein pfiu.
- tant que tu prends ton abilify et ton leponex.
- tu sais, tu sais... tu sais je ne suis pas fou. il faut arrêter avec les fous. ça veut rien dire fou, fou on l'est toujours par rapport à une norme. c'est noël qui le dit. je vois bien comment les gens me regardent, je sais bien ce qu'ils pensent. je suis fou si vous voulez oui mais je ne suis pas idiot. ce seraient plutôt eux les idiots, ceux qui regardent les fous et décident de tout.
- ben moi j'ai toujours trouvé que j'avais une vie de merde. mais tu vois quand je te parle je relativise. c'est important de parler aux fous.
- tu es gentille mais c'est bon ne t'inquiète pas pour moi. je vais raccrocher merci au revoir lavona.
- bonne journée pâques.