Julia s'ennuyait. Mais alors, quelque chose de concret. Le flot des passants l'agaçait au plus haut point, et l'absence d'achats ne l'arrangeait pas beaucoup plus, d'autant que la vendeuse habituelle, engagée par la firme qui les employait toutes les deux, avait eu le bon goût d'attraper une "saloperie de rhume m'dame, mais je suis de retour demain", que la croate avait tout naturellement traduit en une soirée trop arrosée aux conséquences nauséeuses voire vomitives. For-mi-dable. Julia qui avait toujours eu un sens relativement absent de la relation client se retrouvait donc face a un tiroir caisse dont elle savait à peine se servir, et feuilletait sans envie la documentation relative à l'objet.

Soupirant de plus belle de ne pas pouvoir faire SON travail, à savoir assembler les délicates essences qui composaient les parfums d'exception, et consciente des commandes qui s'accumulaient tandis qu'elle faisait la potiche derrière son comptoir, elle ne remarqua pas tout de suite la cliente qui venait d'entrer, petite tornade rousse qui devait avoir un peu plus de la moitié de son âge. Elle leva seulement le regard en entendant un genre de "ding", et vit la jeune fille devant le flacon de "Florilège", une de ses créations dont elle était la plus fière.
Que faisaient les vendeuses, dans ce genre de situations? Ah, c'est vrai.

La jeune femme rangea rapidement le livret de caisse sous le comptoir et se leva pour rejoindre la cliente, dépliant sa silhouette vêtue d'un tailleur strict dans un léger craquement de colonne vertébrale.

"Puis-je vous aider, Mademoiselle?"

Bien sur, qu'elle pouvait l'aider. Une grande partie des flacons uniques vendus dans cette boutique était de son cru. Qui mieux qu'elle pouvait conseiller?

"Florilège est une création originale, mélange de rose, de violette, et d'une petite pointe de jasmin. Souhaiteriez-vous l'essayer? Il réagit toujours un peu différemment sur la peau.

Julia se fendit d'un large sourire, un peu fière de pouvoir présenter sa production, même face à une collégienne. Et tout était mieux que de rester à se tourner les pouces devant ce tiroir-caisse des enfers.