- Et alors, t’as vécu pendant plus de dix ans en Corée avec ce nom, là, De La Cruz ?

Treize ans à entendre son nom se faire malmener. Treize ans à supporter les regards, les jugements parce que papa est américain et que papa est parti. « Ah non, mais en Corée on est pas raciste, on a juste de la peine avec les étrangers qui nous volent nos femmes », qu’a dit un jour le vieux propriétaire de la quincaillerie du quartier. On dit qu’il voulait que la maman de Mino épouse son fils alors forcément, quand un Américain a débarqué pour la mettre en cloque, il était mal, faut le comprendre. Alors oui Mino, laisse les autres dire du mal de ton père, de toute façon il t’aimait pas, sinon il serait pas parti.

Chère maman,

Aujourd’hui, j’ai un peu parlé de ma vie en Corée à mon ami, tu sais, j’en ai parlé dans la lettre précédente ? Tu t’en souviens peut-être pas, mais c’est pas grave. Il s’est un peu foutu de moi à la fin, mais il m’a écouté, c’est cool. Puis, c’est sa manière de détendre l’atmosphère je pense. J’ai dit aujourd’hui alors que tu recevras la lettre dans quelques jours, je suis bête hein ? J’espère que tu te portes bien.

Ton fils qui t’aime,
Min-Ho

Monsieur De La Cruz a vécu dix ans auprès de sa femme et son enfant. C’est lui qui a insisté pour que le gosse apprenne l’anglais, c’est aussi lui qui a décidé de trouver une occupation pour son fils sans amis. Alors, Mino s’est mis au karaté. Pas n’importe lequel, le Kyokushinkai karaté, Monsieur De La Cruz tenait toujours à le préciser. Mais un jour, alors qu’il était âgé de dix ans, son papa disparut. Plus de Monsieur De La Cruz.

- Ton père vous a abandonné ? Mais quel connard !
- Arrête, t’en sais rien….
- Désolé Mino, mais c’est exactement ce que tu m’as décrit : un a-b-a-n-d-o-n.
- Ferme ta gueule putain !
- Sinon quoi ? Tu vas me sortir une de tes techniques de kung-fu ? T’oserais même pas.

Chère maman,

Je suis désolé. Aujourd’hui, j’ai frappé mon ami. Je pouvais pas m’en empêcher, il disait du mal de papa… Mais, j’ai pas utilisé de karaté, c’était un coup de poing normal alors ça ira. Je suis vraiment désolé, je sais que tu n’aimes pas tous ces trucs violents… J’espère que ça va mieux pour toi.

Ton fils,
Min-Ho

Le rêve de Min-Ho, c’était de faire du karaté sa profession. Champion du monde, sympa comme titre, non ? Mais, maman ne voulait pas. Maman n’approuvait pas ces sports de combat, trop violents pour laisser son fils en faire son métier. Alors, Min-Ho a laissé tomber ce rêve. Pour elle. Pour cette mère dont l’état ne faisait qu’empirer. Trois ans. Pendant trois ans il a vécu seul avec elle. Trois ans avant de craquer. Elle n’a pas supporté le départ de son mari, qu’on disait.
Min-Ho, lui, n’a pas supporté la métamorphose de sa mère.
Elle ne pouvait plus s’occuper de lui, elle n’avait plus de famille. Internée loin de son fils, mais voilà, pour lui, c’était comme une libération parce que ça avait été dur, trop dur. Alors il est parti vivre en Amérique, à Foxglove, avec son oncle, Eddy.

Gentil au début, parce qu’il lui fallait juste un petit temps d’adaptation avant de pouvoir jouer l’oncle méchant avec son neveu asiat. Mais bon, ça aurait pu être pire. Au final, son oncle, c'est juste un sombre connard comme on en connait tous.

- Hé l'bridé ! Fais quelques chose de ta vie et arrête de squatter chez moi. Ramasse les poubelles, torche le cul des vieux, rien à foutre tant que tu te casses.

Maman,

Je comprends pas pourquoi tu me renvoies toujours ces putains lettres. Tu les lis au moins ? Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? Je suis ton fils, ne l'oublie pas. Moi je t'oublie pas. Je t'envoie des lettres, je te donne des nouvelles. Je t'ai pas abandonné. Je suis pas comme papa Mais moi aussi je dois vivre tu comprends ? C'est trop dur de rester avec toi. J'ai pas envie de te voir dans cet était.

Je te détes- Je suis désolé maman.
J'ai besoin de quelqu'un maman. J'ai besoin de toi
Mon ami n'est plus là. Il a pas disparu lui, il est mort. Un suicide d'après ce qu'on dit. Il était mal et je l'avais jamais remarqué. Je crois que j'ai envie de mourir moi aussi Je suis un mauvais ami, je m'en veux.
Maintenant, j'ai plus personne à qui parler.

Réponds je t'en supplie J'espère que tu vas mieux.

Min-Ho