P
etite plume emportée par le vent
Chemine loin de son nid inconnu
Petite plume en équilibre sur les temps
Suit son cœur à la lettres des rues
A vélo elle frôle les horizons blanchis des trottoirs
Fait pépier sa sonnette lorsque des passants approchent
Attention ! Les moineaux indulgents escortent son sillage
Frôlent les flâneurs souriants
Où peut bien s’envoler cette enfant ? En équilibre sur la selle elle est guidée par la brise
Le panier de sa bicyclette est pipé par une nichée d’enveloppes aux recoins opalins
Les lettres de leurs adresses en caresses sautillent sur le dos de chaque cahot des routes
Et gazouillent silencieusement protégées par leurs ailes en papier
Quelle belle journée !
Il ne fait pas trop froid et
Les rayons du soleil tombent en petite pluie de poèmes tout contre ses épaules
Les mains perchées au sommet du guidon ses pieds nus sur les pédales
Ca n’est pas très pratique – mais Plume n’aime pas vraiment les chaussures
Elle a l’impression d’être retenue au sol – et elle n’aime pas ça, Plume
Elle veut – toujours – s’élever
(Des gouttes de sang en pâles perles à la pointe des pieds)
L’orée du bois urbain accueille en son sein toute sorte d’animaux
Des grands et des petits, certains sont un peu effrayants, mais sans doute qu’ils ne sont pas méchants
Sans doute qu'ils ont besoin d’un petit oiseau en compagnon des jours pour chanter leurs souvenirs
Pour sonner en silence chaque oubli de leur histoire
Nichée sur son vélo comme un coucou sur l’heure
Elle s’envole donc vers l’aube de leur vie singulière.
Mais à l’ombre des arbres aux feuilles de fer ne sauraient transiger
les sensibles et confuses lumières du passé
Sur le trottoir d’en face – une ronde aux courbes connues
Le temps a écrit par ici – mais elle reconnait bien son ombre contournée de bonheur ondulant à ses pieds en reflet de mirage
C’est lui ? – c’est de la rhétorique, comme on dirait dans les livres – car après tout c’est bien lui
Lui – comme toujours …
L’objet de ses missives souriant sous toutes ses dates
Depuis toutes ces années filées en paragraphes
Des petits mots s’incarnant avec bonheur dans les blancs de son âme
Une voix silencieuse qui porte au-delà des pages
Elle le regarde
Construit sa silhouette à l’œuvre
Renouvelle le palimpseste – c’est encore un beau mot de livre, ça, palimpseste
Quand l’a-t-elle lu ?
Était-ce le dix mai de l’an passé ?
Ou en hiver, il y a des années ?
Elle compte – dix, vingt, trente -- une centaine de billets peut-être, s’amoncelant en marche (en marge) derrière sa vie à
lui désormais bien grandie
Elle réécrit à la pensée cet innombrable en notes qui s'accumulent poids léger sur son cœur trop serré
C’est si réel – et elle a peur, oui elle en a peur, de cette vérité concrète que l’encre claire ne saurait inonder
Elle voudrait l’appeler – mais cette plume n’a pas de véritable voix
Elle ne sait que s’effacer dans son coin de papier.
Pourtant
Ses lèvres frémissent – épousent les formes du silence nominatif
Contournent les lettres graves et douces de sa signature
S’entrouvrent au seuil de son existence baptisée
Gabriel Gabriel !
(B o o m) – sa roue avant s’est jetée contre un poteau
Bien sûr elle ne l’avait pas vu celui-là dissimulé par tous ses mots
Et ainsi – petite plume emportée par le vent
Chut loin de son nid inconnu
Atterrit sous la nuée, dos à la terre – ses iris recouverts par les nuages
Elle regarde toutes les lettres se dissiper
Plume veut s’élever
Accompagner dans le ciel les échos sur son âme de toutes ces écritures aux timbres différents
Les missives seront bientôt beaucoup trop loin de leurs sentiers échangés – hors de portée des sens
Plus perdues que disparues
Alors Plume lève la main – parce qu'il lui faut rattraper sa parole avant qu’elle ne soit définitivement envolée
Pieds nus et retenue au sol
Elle ne peut qu'appeler
« Les lettres ! »
Il faut que les écrits restent...