((je ne supporte plus qu'on me jette des restes à la figure))

Ironique, tu dis ?
C'était comme une pierre dans la gueule, douloureux, révélateur et énervant.
Le goût de la pluie n'était plus le même, il en devenait sale et impur. Le son du vent paraissait vivant, voulant à tout prix ramasser de ses griffes, le peu d'humanité qu'il te restait. Comment réagir, comment vivre. Comment être humain dans le corps d'une bête ? Toutes ces questions coulaient sur tes joues balafrées par la rue. Tu étais apeuré de ton ombre, distordue dans l'espace-temps, incapable de se façonner à ta vision du monde, tu n'étais pas un chien ni même un humain. Tu n'étais que l'essence même d'une vie brisée se racolant à la moindre parcelle de chair qu'elle pouvait obtenir, même la plus pourrie. La bourrasque de souvenirs t'empêche de respirer, tu te perds entre les miroirs d'une réalité lointaine, effacée. L'odeur de la poubelle, attirante, dérangeante, ta gueule s'y empiffre, mais tu t'arrêtes net, lorgnant de ton œil, le désastre que tu es devenu. Piègé entre l'instinct primitif et l'envie d'être parmi eux, tu te contente d'attirer leurs sourires, une pièce ou deux. Tu te limites de rester à leurs pieds, de respirer les effluves de leur humanité.

((sommes-nous d'accord qu'humanité n'est qu'illusion ???))

Tu t'es perdu, tu dis ?
C'était comme une évidence, tu passes ton temps à courir après la vie, elle te file entre les crocs.
Où aller, que faire ? Continuer cet éternel rôle de bête de cirque, faire rire ceux qui le peuvent encore ? Ne sachant pas où dormir, tu te terres contre les matelas éventrés des squatteurs et parfois même, un de tes Camarades te laisse rentrer chez lui. Vivant au jour le jour, tu ne penses plus, tu agis. Survivre est un mot d'ordre mais quand les pensées te rejoignent, qu'elles se nappent de cette anxiété goudronneuse, tu perds les pédales. Bestial est ton sourire quand tu rognes la peur à pleine dent, affolé par les années qui tournent, tu en deviens fou, indomptable. Les tourments t'étourdissent, tu n'es qu'un chien, pourquoi tout ça devrait te traverser l'esprit ? Les vertiges te mordent, tu tombes et quand tu te réveilles, tout est toujours aussi « pareil ». Méfiant envers l'homme, de sa main, de son pied, tu joues cette comédie de la pitié, intemporelle.

((quelle vie de chien))

Tu es vivant, tu dis ?
C'était comme une après-midi d'été, tu étais sur les toits, le vent soufflait vers toi et tu avais la foi.
Tu penses et ça tu le sais. Curieux de nature, de pouvoir enfin effleurer les terres américaines non pas de tes mains mais de ta truffe, tu jouis de cette certaine liberté que t'accorde le statut animal. Heureux, triste, énervé, généreux, les émotions éclosent en toi de manière à ce que toi-même tu te perdes dans cet afflux de sentiments que tu imaginais disparus pour toujours avec ton ancienne vie. Tu changes, tout ça te change. Tu t'adaptes, tu t'ouvres, tu deviens l'acteur d'une vie dont tu as toujours voulu posséder les dires et les faits. Mais les clés ne sont pas à toi, elles n'existent pas, tu n'es rien d'autre qu'un chien. Personne ne te dira merci ou bien même au revoir sans que tu n'aies à l'implorer de ton œil cassé. Vivre en sachant tout cela, ça te fume. Les lamentations sont poussières et toi tu es en chair tandis que l'os dans ta gueule te montre qu'il est temps de ne plus vivre si seul.

((c'est dur mais j'y arriverai))